On dit bien des choses des plus grands albums rock de tous les temps, de ces piliers de la musique qui a bâti une génération d’amateurs de guitares électriques et de percussions bien tassées. On parle moins, cependant, des concepteurs de pochettes, ceux qui illustrent ces chefs-d’oeuvre, parfois avec des images elles aussi immortelles. Heureusement, le documentaire Squaring the Circle vise à corriger ce problème.
Ils sont tous là, ces monstres sacrés, ces bêtes indomptables de la musique: les gars de Pink Floyd, mais aussi ceux de Led Zeppelin… et même Noel Gallagher. Tous là pour parler d’Hipgnosis, la compagnie britannique qui, de la fin des années 1960 au début des années 1980, fut responsable de la conception de certaines des pochettes les plus connues de l’histoire de la musique.
Hipgnosis, donc, une compagnie mise sur pied par Storm Thorgerson et Anbrey « Po » Powell alors que les deux hommes, bien jeunes, à l’époque, gravitaient dans l’ombre de Pink Floyd, est le symbole de l’explosion du rock – et bien souvent, surtout, de son côté psychédélique. Avec ses images audacieuses, tripatives, ses coups de génie et ses inspirations soudaines, l’entreprise prend rapidement du galon et devient la référence par excellence pour quiconque cherche à créer une pochette inoubliable… À condition d’avoir l’argent nécessaire, bien sûr.
Ce que le documentaire d’Anton Corbjin révèle, avec de très nombreuses entrevues, principalement avec « Po », mais aussi ces dieux vieillissants du classic rock, c’est le monde fascinant de la photographie et de l’art visuel qui s’unit avec celui de la création musicale. Le film, qui présente l’histoire de la création d’une quinzaine de ces pochettes iconiques, montre bien à quel point cet art s’est aujourd’hui largement perdu, résultat, entre autres, de l’apparition du punk, mais aussi du new wave, deux courants musicaux qui n’avaient que faire de ces grands groupes prétentieux qui payaient des dizaines de milliers de dollars pour aller faire des photos sur le dessus d’une montagne, ou à l’autre bout du monde.
Cette époque d’effervescence musicale et artistique est-elle vraiment reléguée à l’arrière-scène de l’histoire? On serait tentés de le croire, notamment en écoutant Noel Gallagher, justement, qui se plaint que sa propre fille ne comprenne pas qu’il soit nécessaire de créer des images de pochette pour les albums, elle qui est habituée aux services d’écoute en ligne.
Après tout, qui peut bien s’intéresser à une image minuscule affichée sur Spotify, alors que notre téléphone est de toute façon dans notre poche, et que nos écouteurs sans fil sont bien enfoncés dans nos oreilles?
Pourtant, pourtant… Pourtant, certains des plus grands albums de tous les temps n’auraient fort probablement pas connu le même succès sans cette pochette conçue par Hipgnosis. Peut-on vraiment imaginer Dark Side Of the Moon sans cet effet de diffraction de la lumière sur sa pochette? Sans ce prisme inoubliable?
Film mélancolique, soit, mais aussi film puissant, film magnifique, qui témoigne de la fantastique force née de l’union de la musique et de l’image, Squaring the Circle est un instantané d’une époque terminée, soit, mais dont on retrouve encore les traces, aujourd’hui. Surtout si l’on considère cette phrase selon laquelle la pochette de vinyle est la toile de maître du pauvre. Et devant la popularité intuable du vinyle, justement, la beauté d’une image, d’un collage, d’un montage photo est un aspect toujours essentiel de l’expérience musicale.
Squaring the Circle est un documentaire que l’on peut déjà qualifier d’iconique. L’une des colonnes du temple de la musique que l’on doit impérativement protéger, pour ne pas perdre un pan de notre histoire.