La destruction partielle du barrage ukrainien de Kakhovka ne menace sans doute pas d’une catastrophe la centrale nucléaire voisine de Zaporijia. Mais même en écartant ce risque, cela pourrait tout de même devenir la plus grosse catastrophe écologique dans cette partie de l’Europe depuis l’accident de la centrale nucléaire de Tchernobyl.
C’est que ce barrage va libérer assez d’eau pour inonder des milliers de kilomètres carrés de terres, et déverser au passage quantité de contaminants dans le fleuve Dniepr qui coule jusqu’à la Mer Noire, sur les terres basses et dans les affluents environnants.
Il s’agit d’un barrage hydro-électrique construit sur le fleuve Dniepr: ce qui signifie que du côté nord, sa construction, achevée en 1956, s’est accompagnée de l’aménagement d’un immense lac artificiel, ou réservoir (18 kilomètres cube), élargissant le fleuve. C’est l’eau de ce réservoir —l’un des plus grands du monde— qui se déverse, depuis la nuit de lundi à mardi, dans la brèche du barrage, grossissant considérablement le fleuve qui, côté sud, coule jusqu’à la Mer noire et longe des villes, villages et terres agricoles.
Le retrait partiel du réservoir va refaçonner, côté nord, des écosystèmes marins et terrestres entiers. Dans le réservoir lui-même, les 43 espèces de poissons sont condamnées, selon le groupe ukrainien Nature Conservation. Pour ce qui est des terres inondées, côté sud, Il faudra des semaines pour que les eaux se retirent suffisamment pour pouvoir évaluer les dégâts à la faune et à la flore. D’ores et déjà, mardi, le secrétaire général des Nations unies parlait d’une « monumentale catastrophe humanitaire, économique et environnementale », tout comme le ministre allemand des Affaires étrangères.
Des milliers d’évacués
Mais en attendant, chez les humains, le bilan est plus clair, et il s’alourdit d’heure en heure: on estimait dès mardi matin qu’au moins 17 000 personnes devraient être évacuées du côté ouest du fleuve Dnipro —soit la région de Kherson, que l’armée ukrainienne avait reprise en novembre— et au moins 25 000 du côté est —soit la région occupée par l’armée russe. Des milliers de bâtiments sont probablement d’ores et déjà inondés, dont un millier rien qu’à Kherson, qui comptait 300 000 habitants avant la guerre.
De plus, les eaux du fleuve, en drainant avec elles toutes sortes de contaminants, dont de l’huile à moteur qui était entreposée dans le barrage, pourraient aussi contaminer les sources d’eau potable de millions de personnes, et avoir des conséquences énormes sur l’agriculture dans la région.
La zone en train d’être recouverte par les eaux comprend des parcs nationaux et la Réserve de biosphère de la Mer noire, qui est sur la liste des aires protégées par l’UNESCO.
Si les inquiétudes quant à la centrale nucléaire de Zaporija sont moindres, c’est parce que cinq de ses six réacteurs sont à l’arrêt, ce qui signifie qu’elle n’a pas besoin d’une grande quantité d’eau pour refroidir en permanence les installations. Certes, comme l’eau en question est puisée dans le réservoir, si le niveau de celui-ci descend sous un seuil critique, le pompage pourrait ne plus être possible, mais dans un avis publié mardi, l’Agence internationale de l’énergie atomique prévenait qu’un tel scénario avait été prévu, et que la centrale disposait de sa propre réserve d’eau.
Chacun de leur côté, les gouvernements russe et ukrainien ont accusé l’autre de sabotage. Mais il est également possible que la cause soit plus triviale, indirectement liée à l’invasion russe. L’occupant aurait pu négliger l’entretien du barrage, ou négligé d’utiliser les vannes pour réduire régulièrement le niveau du lac. Plusieurs médias ont rapporté mardi que des photos satellites d’il y a quelques jours montraient que la route traversant le barrage était déjà inondée et que le niveau de l’eau était à un niveau record.