Sept des huit « frontières planétaires » ont été franchies, conclut une étude parue cette semaine, à laquelle les médias ont fait écho. Il s’agit d’une remise à jour d’un concept énoncé pour la première fois en 2009 et auquel les auteurs ont ajouté un « coût » qui n’était pas sur leurs radars à l’époque.
Cette année-là, une équipe dirigée par Johan Rockström, de l’Institut des sciences de l’environnement de l’Université de Potsdam (Allemagne), publiait dans la revue Nature une catégorisation: les systèmes de notre planète que l’on pouvait estimer être altérés par l’activité humaine, et qu’ils avaient divisés en neuf groupes. Chacun d’eux avait ses propres seuils, à l’intérieur desquels la nature « fluctuait » depuis des milliers d’années. Si ces « seuils » ou ces « frontières planétaires » étaient dépassés, cela entraînerait des perturbations imprévisibles et irrévocables pour la faune et la flore — et pour les humains. Ces neuf groupes étaient le climat, la taux de perte de biodiversité, les cycles de l’azote et du phosphore, le déclin de la couche d’ozone, l’acidification des océans, l’eau douce, la perte de terres agricoles, la pollution chimique et l’augmentation des particules fines dans l’air.
Déjà en 2009, ces chercheurs estimaient que trois des huit seuils avaient été dépassés. Dans la mise à jour parue le 31 mai dans Nature et signée par une quarantaine de chercheurs dont Rockström et plusieurs de ses collègues de 2009, les « frontières » sont à présent au nombre de huit, et sept ont été dépassées.
Mais ce qu’ils ont ajouté à leur mise à jour, c’est le coût que cela représente pour les plus vulnérables parmi les 8 milliards d’humains. Ou plus exactement les limites de « l’injustice » dans l’usage des ressources terrestres: 200 millions d’humains seront exposés à des augmentations de températures sans précédent; 500 millions seront exposés à des hausses durables du niveau des eaux.
L’article original, constate un éditorial dans la dernière édition de Nature, « avait été extraordinairement influent dans un laps de temps relativement court. Des villes à travers le monde avaient commencé à expérimenter des façons par lesquelles elles pourraient appliquer » le concept, en s’attaquant à ce qui était à leur portée: la protection des terres et des eaux souterraines et de surface, la limitation des engrais, etc. Depuis, d’autres chercheurs ont proposé des améliorations au modèle, et c’est sur la base d’une de ces propositions, parue en mars dernier, que la mise à jour ajoute cette idée d’insérer un calcul sur l’utilisation « juste » et « équitable » des ressources planétaires.
C’est dans cette logique de justice ou d’équité que la quarantaine de chercheurs défend notamment l’idée que le réchauffement climatique devrait cibler une augmentation maximale de un degré (par rapport aux niveaux d’avant la Révolution industrielle du 19e siècle), plutôt que de un degré et demi — tel que stipulé dans l’Accord de Paris — ou de deux degrés — comme on en parlait avant l’Accord de Paris. Dans leurs calculs, un degré et demi permettra aux plus riches de la planète de se protéger des dégâts les plus lourds, mais pas aux plus vulnérables —comme ces 200 millions de personnes exposées à des températures sans précédent.
Le même raisonnement s’applique à l’accès futur de la population mondiale à l’eau potable, à l’alimentation ou à l’énergie.
L’éditorial rappelle que, déjà, peu après l’article de 2009, « la justice et l’équité » avaient été ajoutées aux négociations internationales « qui avaient conduit aux Objectifs de développement durable des Nations unies, annoncés en 2015 ». Des économistes se sont également emparés de l’idée et leurs travaux ont nourri la mise à jour. C’est d’ailleurs là un exemple de ce que réclament les défenseurs de la multidisciplinarité — lorsque plusieurs disciplines académiques, d’horizons différents, mettent en commun leurs expertises — et c’est peut-être à travers ces regards différents, conclut l’éditorial, que des pistes de solution à la crise climatique se dégageront.