De nos jours, il est plutôt rare, surtout chez nos voisins américains, de voir deux adversaires politiques présenter une publicité conjointe, ou ne serait-ce que donner l’impression d’être en accord sur un enjeu. En fait, une nouvelle étude du MIT révèle que les Américains, justement, surestiment probablement à quel point leurs opposants politiques cherchent à saper la démocratie – une conclusion qui est à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle.
Au dire des chercheurs, l’une des implications de ces travaux est qu’en croyant que ses opposants politiques veulent torpiller la démocratie, certains partisans vont ensuite justifier l’érosion des normes démocratiques par leur propre camp.
« Cela peut entraîner une spirale mortelle pour la démocratie », affirme Alex Pentland, professeur au MIT et coauteur de l’étude, qui s’appuie sur des sondages et des tests impliquant des milliers d’Américains.
Comme le notent les travaux, les mensonges à propos de l’élection présidentielle de 2020, par l’ex-président Donald Trump et d’autres individus, ainsi que de fausses nouvelles à propos de supposées manipulations électorales, ont fait en sorte que ces croyances sont maintenant monnaie courante chez les républicains.
De leur côté, les chefs du Parti démocrate affirment en public que plusieurs mesures bénéficiant de l’appui des républicains menacent la démocratie américaine.
À l’opposé, les conclusions positives de l’étude s’articulent autour du fait que les Américains partisans, en provenance des deux camps, affirment largement soutenir le régime démocratique, et ce de façon plus importante que ne le croient leurs rivaux.
Mieux encore, ces citoyens politiquement actifs semblent ouverts à l’idée d’apprendre que c’est aussi le cas pour ces fameux adversaires idéologiques.
Selon M. Pentland, « nous avons constaté que le fait de faire connaître à quel point les électeurs des deux camps appuient la démocratie a l’effet de grandement réduire la polarisation politique toxique, voire de changer le nom des candidats qui obtiendront l’appui des citoyens ».
« Le fait de savoir que les groupes politiques opposés sont pro-démocratie pourrait être un aspect essentiel permettant de maintenir des institutions démocratiques solides », poursuit-il, avant d’ajouter qu’« il y a aussi de l’espoir, dans ces conclusions; c’est le fait qu’en réduisant la peur entre les divers groupes de partisans politiques, nous pouvons renforcer les structures démocratiques ».
Est-on pire que l’autre?
Pour effectuer leurs travaux, les chercheurs ont mené un coup de sonde en ligne, ainsi que deux tests. Le sondage, qui a permis de recueillir les avis d’environ 2000 Américains, demandait à ces derniers d’estimer la velléité des opposants politiques de saper les normes démocratiques. Les participants devaient ensuite leur propre volonté à agir de la sorte, lorsqu’on leur présentait sept types d’actions non-démocratiques, comme le fait de limiter le nombre de bureaux de vote, interdire les rassemblements politiques, et plus encore.
Que ce soit chez les républicains ou les démocrates, les résultats étaient largement les mêmes : les démocrates estimaient que les républicains étaient prêts à saper cinq normes démocratiques, en moyenne, alors qu’ils étaient prêts à poser des gestes similaires à propos d’une norme et demie.
Chez les républicains, on a jugé que les démocrates étaient disposés à s’attaquer à 5,2 normes, alors qu’ils agiraient de la sorte pour transformer 1,2 norme eux-mêmes.
Et lorsque les répondants estimaient que leurs adversaires étaient davantage prêts à aller à l’encontre de la démocratie, ils étaient eux-mêmes disposés à agir de cette façon. Les spécialistes estiment que cette tendance est exacerbée par des affirmations, depuis longtemps démenties, qui sont ânonnées par des leaders comme M. Trump.
En général, écrivent les auteurs de l’étude, les participants « n’ont pas porté attention à l’importance des affirmations proférées fréquemment par des leaders aux tendances autoritaires, selon qui leurs opposants violent les normes démocratiques », indique Gabriel Lenz, qui a lui aussi participé aux travaux.
M. Lenz évoque notamment les fausses affirmations de l’ex-président brésilien Jair Bolsonaro.
« [Cette façon d’agir] fait en sorte que leurs partisans, dans ce cas-ci, des républicains, vont tolérer l’érosion des normes démocratiques par des politiciens comme M. Trump. Plutôt que de voir ce dernier comme étant en train de saper la démocratie, ils le considèrent comme étant en train de lutter à armes égales sur un champ de bataille qui, croient-ils, a déjà été profondément transformé en leur défaveur. »
Une lueur d’espoir
Cependant, l’étude révèle aussi que les individus sont ouverts à recevoir des informations valides démontrant que leurs opposants sont prêts à respecter les codes démocratiques.
Après avoir effectué deux expériences pour évaluer cet état de fait, les scientifiques disent avoir constaté que de meilleures informations à propos des opposants politiques permettent de faire grimper la confiance envers les politiciens et les institutions.
Ainsi, lorsque les démocrates voient que les républicains sont favorables à la démocratie, et inversement, il existe alors la possibilité d’éviter d’engager les États-Unis dans une spirale démocratique mortelle, écrivent les spécialistes.
« Ces travaux sont particulièrement importants, à un moment où bien des gens cherchent une solution à la polarisation toxique », soutient Alia Braley, une autre coautrice. « Les gens seront davantage portés à soutenir la démocratie lorsqu’ils ont moins peur de l’autre camp. »
Toujours selon elle, « l’une des possibilités, lorsque nous sommes confrontés à un politicien comme Trump, qui s’apprête à présenter une série d’affirmations fausses aux républicains, consiste à démontrer que les démocrates vont respecter les normes démocratiques. Selon nos recherches, cela devrait faire en sorte que les républicains seront davantage portés à rendre leurs représentants imputables ».
Mais comment accomplir tout cela à grande échelle? Les chercheurs n’ont pas de solution toute prête. Des démarches, comme une publicité conjointe, en Utah, entre républicain et démocrate, en vue des législatives de 2020, ont sans doute été efficaces, mais il est difficile de rejoindre un grand nombre de citoyens.
Les auteurs des travaux disent garder l’oeil ouvert, en quête de réponses.