Parce que l’expression « consensus scientifique » est très mal comprise du public et parce que celui-ci voit à tort des débats sur des questions qui sont, en réalité, réglées depuis longtemps, une poignée d’initiatives visent actuellement à interroger les scientifiques sur ce sur quoi ils s’entendent.
Par exemple, 20 000 chercheurs en sciences de la vie recevront un courriel leur demandant s’ils sont d’accord pour dire que la COVID a été causée par un virus. D’autres se feront questionner sur le réchauffement climatique ou sur des sujets qui ont une résonance politique.
L’exercice peut sembler « futile », note la revue Nature, mais tous ces projets visent à rendre les débats scientifiques et les argumentaires « plus visibles et plus transparents ».
Le philosophe des sciences britannique Peter Vickers, qui est derrière l’initiative des 20 000 courriels, y voit un instrument d’éducation: un effort à grande échelle pour montrer ce que « consensus » veut vraiment dire dans la communauté scientifique, ou plus exactement dans différents secteurs de la communauté scientifique.
Il n’est en effet pas rare d’observer un écart entre ce sur quoi tous les experts d’un domaine s’entendent —comme l’existence du réchauffement climatique et la responsabilité humaine— et ce que le public croit percevoir de leur consensus. On peut en dire autant de ceux qui s’imaginent qu’un grand nombre de scientifiques dénoncent les vaccins contre la COVID. Vickers se dit convaincu que « de montrer ce sur quoi les scientifiques s’entendent pourrait aider à combattre la désinformation et soutenir des politiques basées sur des données probantes ».
La lutte à la désinformation est aussi ce qui motive un organisme à but non-lucratif de Colombie-Britannique, Clarity Foundation, créé par un médecin de l’Hôpital général de Vancouver, David Sweet. Sa motivation est venue, raconte-t-il, des impacts de la désinformation dont il a été témoin chez des patients pendant la pandémie. En avril, il a fait circuler un sondage parmi 200 experts en maladies infectieuses pour mesurer leur niveau d’accord avec 7 affirmations telles que « je recommanderais la vaccination contre la COVID à ma famille et mes amis ».
Risque de polarisation
D’autres sont plus sceptiques quant à ces initiatives. Pour le sociologue américain James Evans, interrogé par Nature, « si nous poussons trop fort l’idée que vous ne croyez pas à ceci, mais que tous les scientifiques y croient, ça pourrait avoir l’effet inverse » de celui souhaité, c’est-à-dire une polarisation plus grande encore face à ces questions.
Une étude plus optimiste avait été réalisée en République tchèque en 2021. Constatant qu’un grand nombre de gens croyaient que seulement la moitié des médecins considéraient que les vaccins contre la COVID étaient sécuritaires, une équipe d’économistes avait mené un sondage: en fait, 90% des médecins recommandaient la vaccination. Ils ont alors testé cette information auprès de gens qui hésitaient à se faire vacciner: le fait de mentionner ce consensus médical en aurait incité environ un sur cinq à se faire vacciner.
Pour Peter Vickers, la recherche du consensus permet aussi de détecter où s’arrête le consensus. Autrement dit, plus les questions deviennent pointues et plus il devient possible de détecter les frontières entre ce sur quoi tous les experts s’entendent et ce sur quoi ils débattent, ou admettent de l’incertitude, ou établissent des nuances et des bémols. Le groupe de Colombie-Britannique, explique David Sweet, n’est pas intéressé à prouver ou ne pas prouver le consensus, mais veut plutôt « jauger les niveaux d’accord ou de désaccord, et ensuite en rechercher les raisons ».