Qu’y a-t-il de commun entre l’humain, le guépard et la chauve-souris? Des millions de petits détails dans le code génétique qui n’ont guère changé depuis l’époque où leur ancêtre commun se cachait des dinosaures.
Pas moins de 11 recherches ont été publiées simultanément jeudi dernier dans la revue Science, dans le cadre d’un vaste effort international de décodage des génomes de 240 espèces de mammifères, dont nous.
Le Zoonomia Project, vantent ses promoteurs, amène à une autre échelle les efforts de génomique comparée des 20 dernières années. Il ne repose pas uniquement sur de nouveaux décodages de génomes, mais sur la récolte de données amassées par des études médicales ainsi que par des milliers d’expériences menées depuis deux décennies sur des fragments d’ADN de différents animaux. L’objectif étant de pointer des mutations qui sont au coeur de ce qui distingue l’Homo sapiens de ses nombreux cousins mammifères, mais aussi au coeur de ce qui nous réunit: un nombre énorme de choses n’ont pas changé en 100 millions d’années, même si, à l’évidence, nous ne ressemblons pas à un guépard, une chauve-souris, un chien ou une baleine.
Avec 11 études, les chercheurs expliquent n’avoir fait que « gratter la surface » de leur immense base de données. « La réalité est que, d’un point de vue évolutif, nous ne savons pas autant de choses sur les mammifères que sur la façon dont les oiseaux ont divergé » de leurs propres cousins, résume à la radio NPR la biologiste Nicole Foley, de l’ Université A&M du Texas.
Des gènes-clés, mais disparus
Quant à ce qui distingue les humains des autres mammifères, c’est évidemment ce qui est « nouveau » à l’échelle de l’évolution —soit des mutations apparues dans les derniers millions d’années— mais, étonnamment, c’est aussi ce qui est disparu: autrement dit, des séquences génétiques qui sont présentes chez presque tous les autres mammifères étudiés et qui n’y sont plus chez l’Homo sapiens.
L’une des recherches avait ainsi commencé par identifier 10 000 fragments d’ADN qui existent chez la plupart des mammifères mais pas chez les humains. Le gros de ces changements semble coller à des régions qui servent à réguler si un gène doit être actif (produire telle ou telle protéine) ou non. Et mieux encore, la plupart de ces changements sont à proximité de gènes liés au développement du cerveau. L’équipe en charge de cette recherche, sous la direction du généticien Steven Reilly, de l’École de médecine de l’Université Yale, a ensuite mené des expériences au niveau cellulaire, tentant de voir lesquelles de ces séquences génétiques en plus ou en moins produisaient des changements. Ils en ont trouvé 800 où la version « humaine » produisait un résultat différent de la version « chimpanzé », et parfois un résultat très différent : l’arrêt de l’activité d’un gène lié au système nerveux humain avait ainsi un effet en cascade sur 30 autres gènes, dont un associé au processus de myélinisation, qui permet l’isolation des neurones. Et le processus est plus lent chez les humains que chez les chimpanzés, sans qu’on sache pourquoi.
Des mutations étranges, mais révélatrices
Mais il y a beaucoup d’autres exemples où identifier une mutation propre à un comportement très éloigné de nous ouvre néanmoins des fenêtres sur nous-mêmes. Ainsi, l’une des recherches s’est intéressée aux fragments d’ADN transposables, qu’on appelle communément « gènes sauteurs » parce qu’ils peuvent changer d’endroit sur le génome. Ils semblent être plus fréquents chez les carnivores, comme nous.
Ailleurs, une autre des recherches a exploré ce qui différencie les espèces qui hibernent. En bout de ligne, cela a permis de pointer du doigt des gènes impliqués dans le vieillissement. « Beaucoup des espèces qui hibernent ont une espérance de vie exceptionnelle », résume le généticien Elinor Karlsson, de l’Université du Massachusetts, et co-directeur du Project Zoonomia.
En comparant tous ces mammifères, les chercheurs ont aussi pu se projeter un peu plus loin dans le passé que prévu. On avait présumé que puisque les mammifères avaient « profité » de la disparition des dinosaures il y a 66 millions d’années, l’explosion dans la variété d’espèces avait suivi ce moment. Or, une des recherches suggère que la diversification était déjà en cours il y a 100 millions d’années. C’était donc avant que les continents ne se séparent pour évoluer vers leurs formes actuelles, isolant différentes lignées sur différents continents.
Et certains de ces scientifiques croient qu’on pourrait aussi, grâce à ces données, se projeter dans l’avenir. Un groupe a ainsi tenté d’en tirer un modèle prédictif sur les espèces qui seraient les plus vulnérables à un futur coronavirus. Un autre groupe propose qu’on puisse éventuellement construire un modèle prédictif sur le risque d’extinction d’une espèce, sur la base de sa diversité génétique qui peut, elle-même, révéler la taille qu’avait sa population dans le passé.