Jusqu’à quand doit-on s’accrocher, quand un proche s’en va, peu à peu? Pour Camille Paré-Poirier, cette question est au coeur d’un vaste projet audio et maintenant scénique dont la composante théâtrale, Je viendrai moins souvent, est présentée sur la scène du Théâtre d’Aujourd’hui.
La grand-mère de Camille se meurt. Non pas une mort des suites d’une maladie, mais plutôt ce que l’on appelle prosaïquement « mourir de vieillesse », quand le corps et le cerveau cèdent peu à peu devant les incessants assauts du temps. Et pour garder un souvenir de celle qu’elle a longtemps adorée, la jeune femme a enregistré plus d’une centaine de conversations avec son aïeule, lors de ses visites à une résidence pour aînés, puis à l’hôpital, et enfin dans un CHSLD.
L’ensemble avait déjà fait l’objet d’un podcast à la fois beau et particulièrement touchant, une série de trois épisodes intitulée Quelqu’une d’immortelle, au sujet duquel l’artiste avait accordé une entrevue à ce journaliste, au début de 2022. Et s’il était possible de penser que Je viendrai moins souvent ne serait qu’une adaptation scénique du balado, il n’en est heureusement rien : oui, l’autrice et comédienne reprend bon nombre d’extraits sonores qui avaient déjà été présentés en format audio uniquement, mais la pièce est à la fois un résumé des épisodes, en quelque sorte, et une mise en contexte plus vaste.
De fait, certaines conversations jamais diffusées auparavant font ainsi leur apparition sur les planches du théâtre; de l’avis de Mme Paré-Poirier, cela s’explique par le fait que l’oeuvre étant condamnée à disparaître des mémoires des spectateurs, plutôt que d’être rendue permanente sur le web, il est ainsi possible de lever un peu plus le voile sur la démence et les autres troubles dont souffrait sa grand-mère Pauline.
Et certaines séquences sont effectivement plus que troublantes : on y découvre une Pauline au cerveau très atteint, cette journée-là, par la démence, les oublis, mais aussi, sans doute une colère envers elle-même et les autres. L’entendre sangloter puissamment, alors que ces sanglots ont plutôt l’air d’éclats de rire, donne froid dans le dos. Personne n’a envie de voir ses capacités cérébrales disparaître peu à peu. Pourtant, ce sera le lot de bon nombre d’entre nous, bien souvent dans des conditions presque dignes d’un pays du tiers monde.
Bien entendu, les confinements de la pandémie n’ont aidé en rien, mais Je viendrai moins souvent est aussi une dénonciation, le poing levé, d’un système aux abois depuis très longtemps, et qui s’est quasiment effondré en mars et avril 2020. Il faut voir Camille Paré-Poirier, assise dans un fauteuil au centre de la scène, le visage à moitié dans l’ombre, les larmes coulant sur les joues, alors que d’une voix sourde, elle raconte la misère dans laquelle sont plongées les personnes âgées alors qu’elles égrènent les dernières années de leur vie…
Impossible, pour ce journaliste, de ne pas avoir les yeux pleins d’eau, lui aussi, en pensant à sa propre grand-mère, morte à la suite d’une perte d’équilibre et d’un violent impact sur un meuble, après des années de déclin cognitif. Impossible de s’en vouloir de ne pas avoir conservé d’extraits sonores, de séquences vidéo… quelque chose de plus concret, de plus réel que des photos.
Pour Camille Paré-Poirier, sa grand-mère Pauline est morte, mais est toujours présente dans son esprit, dans son téléphone, dans son podcast, dans sa pièce de théâtre. Les bons jours comme les jours immondes. Et c’est ce qui fait de Je viendrai moins souvent une oeuvre aussi douce que cinglante.
Je viendrai moins souvent, texte et interprétation de Camille Paré-Poirier, mise en scène de Nicolas Michon; jusqu’au 13 mai au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui