Tout le monde sait comment, en théorie, lutter contre les théories du complot. C’est en pratique que ça devient très difficile.
Une synthèse de 25 études sur le sujet conclut que la plupart des méthodes utilisées ont peu d’effets, et que celles qui en ont sont très difficiles à mettre en pratique. Parmi ces dernières, se trouvent celles qu’on peut qualifier de préventives: prévenir les gens à l’avance d’une théorie du complot, ou leur enseigner à reconnaître les arguments douteux ou les « preuves » qui n’en sont pas.
Les quatre psychologues attachés à deux universités irlandaises qui sont derrière cette étude étaient à la recherche de preuves de l’efficacité de ces méthodes. Ils ont trouvé 25 études, ce qui est peu en regard de la littérature de la dernière décennie sur la désinformation: mais il se trouve que la majorité des recherches portent spécifiquement sur les fausses nouvelles —ce qui les définit, comment elles se propagent, pourquoi des gens y croient, etc.— alors qu’une théorie du complot est un phénomène plus complexe: un phénomène qui implique un amalgame de faussetés, de demi-vérités et de choses vraies, amalgame qui, pour la personne qui y croit, semble vraisemblable.
De plus, le fait de croire à l’existence d’un immense groupe de gens capable de cacher la « vérité », rend plus facile de se convaincre que toute personne qui critique la théorie fait elle-même partie du complot. En fait, l’une des 25 études conclut précisément que d’étiqueter une théorie comme étant complotiste renforce les croyances de ceux qui y adhèrent.
En revanche, améliorer les compétences des gens pour reconnaître les pièges a un impact mesurable, tout comme le fait de « déboulonner à l’avance » (en anglais, prebunking) une théorie à laquelle la personne n’a pas encore été exposée. Mais la difficulté est de savoir qui cibler et quand.
Et rien ne garantit que les arguments qui auront été porteurs avec une théorie —par exemple, qu’un groupe secret veut nous implanter des puces électroniques par l’intermédiaire du vaccin— fonctionneront avec une autre —par exemple, la désinformation russe ciblant les réfugiés ukrainiens. Par contre, comme les mécanismes de ces théories ont tous des points communs, une formation à plus grande échelle pourrait convenir: une des études, dont les auteurs de la synthèse d’études vantent le succès, consistait en un cours universitaire de trois mois, pendant lequel les inscrits apprenaient entre autres ce qui distingue une science solide d’une pseudoscience. Mais peu de gens vont s’inscrire à un cours universitaire de trois mois, convient l’auteur principal, le psychologue Cian O’Mahony.
Il ne faut toutefois pas nécessairement mettre la barre trop haut, commente le psychologue Stephan Lewandowsky, qui n’a pas participé à cette recherche mais analyse les mécanismes des fausses croyances en science depuis plus d’une décennie. Pour lui, le fait qu’une intervention n’ait qu’un faible impact peut tout de même faire une différence non négligeable : « réduire le partage d’une théorie du complot au début, rien que par quelques points de pourcentage, peut être suffisant pour détourner une cascade ».