La liberté de presse est-elle menacée, à l’échelle mondiale? La réponse est indubitablement positive, du moins si l’on se fie à un nouveau rapport, le premier du genre, produit par la Fondation Thomson Reuters.
En vertu de ce document, il appert qu’un journaliste sur deux (47,6 %), à travers la planète, a été ciblé par des démarches judiciaires, qu’il s’agisse d’attaques lancées par des dirigeants politiques, ou d’autres contextes.
Pour parvenir à ce total, les auteurs du rapport ont interrogé près de 500 membres du réseau de journalistes rattaché à la Fondation pour recueillir leurs expériences, en plus de se tourner vers 37 experts de la question de la liberté de la presse. On évoque ainsi « une vague de fond d’attaques contre les journalistes, à travers le monde », en plus d’identifier les principales tactiques juridiques généralement employées contre les membres de la presse.
Ces attaques, surnommées lawfare, en anglais, sont de plus en plus nombreux à l’endroit des reporters et autres travailleurs de l’information, histoire de « mettre en danger leur sécurité, de faire disparaître les enquêtes d’intérêt public et saper la confiance envers le journalisme », lit-on dans une note d’information.
« Avec l’amplification imputable à de récents événements, comme la pandémie et l’invasion de l’Ukraine, ces tactiques sont utilisées de nombreuses façons par divers acteurs pour criminaliser les acteurs du journalisme afin de contrôler l’ordre du jour, faire disparaître la reddition de comptes et s’emparer du pouvoir. »
Au total, des répondants provenant de 106 pays, ont affirmé avoir été victimes, ou ont plutôt indiqué que leur employeur avait été victime de ces menaces.
Le rapport évoque huit menaces principales :
- La diffamation et l’insulte : une méthode mal employée pour empêcher la tenue de débats publics et protéger les puissants contre des critiques légitimes;
- Les poursuites-bâillons : des démarches judiciaires qui sont sans mérite, par définition, et qui visent, souvent avec une importante amende à la clé ou des procédures très coûteuses, à faire taire les détracteurs;
- L’espionnage, la trahison et l’influence étrangère, soit des lois sur la sécurité nationale qui peuvent être employées pour sanctionner la liberté d’expression et limiter la liberté de presse;
- La diffamation numérique et d’autres dispositions liées à la cybercriminalité : des accusations largement utilisées par les régimes autoritaires et les démocraties en perte de vitesse, afin de cibler le journalisme indépendant;
- Les fausses nouvelles : en utilisant le prétexte de réduire la dissémination des mensonges, plusieurs pays utilisent des lois sur les « fausses nouvelles » pour censurer les reportages qui critiquent le pouvoir;
- Antiterrorisme et anti-extrémisme : au cours des dernières années, plusieurs pays ont durci les peines et créé de nouveaux crimes à la formulation vague pouvant servir à serrer la vis aux dissidents
- Les crimes financiers : ceux-ci peuvent entraîner des peines de prison à long terme, de lourdes amendes ou d’autres réclamations fiscales, le tout dans le but de forcer la faillite des médias et des journalistes indépendants;
- Les crimes de lèse-majesté et de diffamation séditieuse : ces crimes sont accompagnés de la menace d’une peine de prison ou d’amendes pour les personnes qui critiquent des responsables ou publient des informations sur ces derniers.
Un étau qui se referme
Le document, intitulé Weaponising the Law : Attacks on Media Freedom, indique également qu’au cours des cinq dernières années, au moins 43 États ont adopté ou amendé des lois pour durcir et élargir les peines et les pénalités pour la diffamation, l’activité extrémiste ou terroriste, les enjeux de sécurité nationale, les questions liées aux fausses nouvelles, le désordre public et la cybercriminalité.
« Ces lois sont souvent mal utilisées et interprétées pour poursuivre les journalistes », écrivent les auteurs du rapport.
Et, lit-on encore, si ces pratiques sont largement répandues dans les pays aux prises avec un soulèvement social, ou menacés par la colère populaire, comme la Russie et le Belarus, des pays pourtant qualifiés de « démocraties » sombrent eux aussi peu à peu dans l’autoritarisme.
C’est notamment le cas en Inde, où l’on utilise de plus en plus de lois contre le terrorisme et la sédition pour punir les journalistes, ou encore en Turquie, au Sénégal, au Zimbabwe ou encore au Salvador.
Les autorités semblent aussi avoir de plus en plus recours à la technique dite du « matraquage », où un journaliste ne sera pas seulement accusé d’« insulte », par exemple, mais aussi de plusieurs autres « crimes », afin d’accroître les chances d’obtenir une condamnation contre ce travailleur de l’information ou son média, et ainsi le faire taire.