En prévision de la présidentielle de 2020, aux États-Unis, les électeurs semblent être devenus meilleurs pour détecter de la désinformation et de fausses nouvelles en ligne : selon une nouvelle étude de l’Université Stanford, les clics vers des sites peu fiables ont été moins nombreux.
Ainsi, lors de la période électorale de 2020, 26,2 % des Américains auraient visité un site contenant de la désinformation; à la même époque, en 2016, cette proportion était quasiment le double, soit 44,3 %.
Si les chercheurs jugent que ces résultats sont prometteurs, ils mettent aussi en garde contre une mauvaise interprétation de l’étude. Selon eux, le fait d’être exposé à la désinformation, même si cela est dans une proportion moindre, peut malgré tout avoir des conséquences importantes. En extrapolant leurs résultats, les spécialistes estiment ainsi que près de 68 millions d’Américains ont effectué un total de 1,5 milliard de visites sur des sites indignes de confiance pendant la période électorale de 2020.
« Bien que nous ayons constaté une réduction importante du nombre total de gens exposés à la désinformation en ligne, celle-ci demeure un problème important au sein de l’écosystème informationnel pour certaines parties de la population, particulièrement les adultes plus âgées et les communautés ethniques », indique Jeff Hancock, un professeur en communications et l’un des principaux auteurs de l’étude.
Les scientifiques ont constaté que les personnes visitant les sites web affichant de fausses allégations tendaient à être plus âgées et à être davantage de droite, sur l’échiquier politique, une conclusion qui s’inscrit dans la foulée des données obtenues en 2016. Ces internautes ont toutefois moins visité de tels sites, et y ont passé moins de temps qu’à la précédente élection présidentielle.
L’étude s’appuie sur de précédents travaux de recherche menés par Andrew Guess, de l’Université Princeton. En 2016, celui-ci a mis au point une liste de 490 sites indignes de confiance.
Cette fois, M. Hancock, accompagné de deux étudiants aux doctorat, a bonifié cette liste avec quelque 1240 domaines additionnels fournis par NewsGuard, une organisation qui établit la crédibilité des sites d’information. Leur classement est effectué manuellement par des journalistes d’expérience qui évaluent et classent rigoureusement les sites en fonction de plusieurs critères, y compris si les sites publient du faux contenu à répétition, publient des correctifs à propos d’erreurs dans leur travail, et font la distinction entre les nouvelles et l’opinion.
Les chercheurs de Stanford ont ensuite recruté un échantillon représentatif de 1151 adultes américains; ceux-ci ont rempli un sondage et installé un greffon sur leur navigateur qui a permis aux chercheurs de suivre leur activité en ligne entre le 2 octobre et le 9 novembre 2020. Au total, quelque 7,5 millions de visites de sites web ont été enregistrées sur les ordinateurs de bureau et les appareils mobiles des participants.
Lumière sur un phénomène
Les auteurs de l’étude ont constaté qu’en 2020, 5,6 % des visites vers des sites indignes de confiance provenaient de Facebook – en 2016, cette proportion était plutôt de 15,1 %. On estime que cette baisse est imputable aux démarches du média social pour combattre le problème des fausses nouvelles sur sa plateforme.
« La diminution des visites référées par Facebook pourrait refléter les investissements dans des efforts de mise en confiance et de sécurité pour diminuer l’importance de la désinformation sur la plateforme, comme les mises en garde, la modération des contenus, ainsi que l’éducation des internautes, toutes des choses que cette plateforme et les autres réseaux sociaux n’accomplissaient pas dans une même proportion, en 2016 », a dit Ryan Moore, l’un des deux étudiants au doctorat qui ont collaboré à l’étude.
Malgré une baisse notable du nombre moyen de visites, certains participants ont continué à consommer du contenu erroné et trompeur dans des proportions particulièrement élevées. « Il y a encore des gens qui se rendent sur des centaines de sites contenant de la désinformation », a souligné Ross Dahike, l’autre étudiant. « D’autres travaux de recherche sont nécessaires pour comprendre l’effet de ce genre d’exposition sur les convictions et les actions des gens. »
Parmi les autres constatations, on a noté que les adultes plus âgés étaient deux fois plus portés à visiter un site indigne de confiance, comparativement aux 18-29 ans. Et si une proportion plus faible d’Américains de 65 ans et plus ont été exposés à ces sites, en 2020, ils ont continué à consommer de la désinformation dans une proportion plus élevée que chez les jeunes adultes.
« Les adultes plus âgés continuent d’être ciblés par les producteurs de désinformation parce que cette génération tend à être plus riche et plus engagée sur le plan civique que les autres générations, ce qui en fait des cibles de choix pour les acteurs mal intentionnés qui tentent de faire de l’argent ou de changer des résultats électoraux », soutient M. Hancock.
Un monde en mutation
La désinformation est pernicieuse, se transforme et mute rapidement, affirment les chercheurs.
« Si nous pouvons interpréter nos résultats comme une preuve que le problème de la désinformation en ligne s’améliore, d’une certaine façon, nous pourrions aussi dire que la nature du problème change », écrivent ainsi les auteurs.
Ceux-ci n’ont étudié que les habitudes de navigation, et la désinformation aurait pu changer de lieu et migrer vers d’autres médias sociaux ou des services de messagerie encodée, comme WhatsApp ou Signal. De plus, un clic n’est pas le seul indicateur de la consommation de fausses nouvelles; les gens pourraient avoir été exposés à des informations trompeuses de façon passive, ne serait-ce qu’en lisant un titre d’article en navigant sur leur fil d’actualités. Tous ces facteurs font en sorte que le domaine est difficile à étudier, jugent les spécialistes.
MM. Hancock, Moore et Dahike envisagent déjà ce que leurs conclusions pourraient donner comme indications à propos de la circulation de la désinformation en vue de la prochaine présidentielle, en 2024.
Ils anticipent ainsi que les adultes plus âgés continueront d’être vulnérables face aux fausses nouvelles.
Et les chercheurs s’inquiètent également du rôle de la désinformation dans des milieux pauvres en ressources, comme les communautés ne parlant pas anglais.