Se décrivant comme une méditation tragi-comique sur la masculinité, la guerre et les méandres de la vie familiale, la bande dessinée Géants aux pieds d’argile de Mark McGuire et Alain Chevarier traite d’un sujet rarement abordé, soit celui de la paternité.
Pat est un enseignant dans la quarantaine. Son épouse gagne davantage d’argent que lui, et son travail l’emmène souvent à voyager. Il doit donc assumer un rôle qui était traditionnellement réservé aux femmes, c’est-à-dire s’occuper de la maison et de ses deux enfants, Lily et Sam. Malheureusement, Pat est empli de rage, et sa colère fait parfois peur à sa douce moitié et à sa progéniture. Il a pris un congé sabbatique d’un an afin d’écrire un ouvrage sur le Printemps érable de 2012, mais préparer les lunchs des petits, aller les chercher ou les reconduire à l’école et s’occuper des repas et du lavage lui laisse peu de temps pour la recherche et l’écriture. Après avoir un reçu une boîte de diapositives de son père, il découvre que celui-ci a déjà reçu une médaille de l’armée. Il décide donc d’enquêter sur le passé de son paternel, absent durant la majorité de sa jeunesse, dans l’espoir de mieux comprendre l’homme et d’éviter de reproduire les mêmes erreurs avec sa propre famille.
On dit souvent que les hommes sont des « handicapés émotifs » qui ont de la difficulté à exprimer ce qu’ils vivent ou à partager ce qu’ils ressentent, mais ce n’est certainement pas un reproche que l’on peut faire à Géants aux pieds d’argile. Dans cette bande dessinée que l’on devine autobiographique, le scénariste Mark McGuire fait preuve de beaucoup de courage en dévoilant, sans pudeur, ses faiblesses et son côté sombre dans un récit très humain parlant de paternité, des rôles traditionnels réservés aux hommes et aux femmes dans les sociétés d’antan comme celles d’aujourd’hui, et aborde même au passage la Seconde Guerre mondiale ou celle du Vietnam à travers l’histoire du père de Pat et celle du grand-père de Mathieu, son meilleur ami. Toutefois, malgré toute sa candeur et son honnêteté, je dois avouer avoir eu des sentiments un peu mitigés à la lecture de cet album.
Il est particulier de lire un homme se plaindre d’une situation que les femmes vivent depuis des lustres en jonglant avec leur carrière et la vie familiale. D’ailleurs, à un moment donné, Pat déclare que « L’homme n’est pas encore assez évolué pour bien s’occuper des enfants », ce à quoi un personnage féminin lui rétorque qu’il est ridicule de penser que cela est inné chez la femme. La bande dessinée fait aussi une place à la théorie de l’épigénétique, selon laquelle les traumatismes puissent être transmis d’une génération à une autre, et pointe du doigt le comportement violent de son père, qui a fait la guerre du Vietnam, comme source de sa propre colère, ce qui m’a semblé être une façon de se déresponsabiliser et de jeter le blâme sur l’inné plutôt que l’acquis. Au moins, point positif, le héros de Géants aux pieds d’argile finira par aller consulter avant de céder à la rage, ce qu’on ne peut évidemment que saluer.
Effectués au crayon de plomb et dénués d’encrage, les dessins en noir et blanc d’Alain Chevarier possèdent un aspect un peu brut avec leurs hachures nerveuses, mais pour paraphraser le personnage de Mathieu donnant un cours de bande dessinée dans le livre, le style est simple, mais l’émotion qui s‘en dégage est puissante. L’artiste ajoute du relief et de la profondeur à ses illustrations à l’aide seulement de teintes de gris. Il appuie plus fort sur le crayon pour obtenir des noirs, et frotte la mine sur le papier afin de créer des effets de flous et des textures. Il met bien en scène le quotidien de la vie de famille, les enfants qui se chamaillent ou l’évier plein de vaisselle sale en avant-plan pendant que le père s’occupe de la brassée de lavage en arrière-plan. Il a aussi quelques trouvailles visuelles assez inventives : plutôt que leurs noms, il écrit les maux qu’ils sont censés soigner (rage, douleur, anxiété) sur les cachets de médicaments, ou dessine le père en colère sous la forme d’un grizzly.
Les hommes n’osent généralement pas demander de l’aide et en ce sens, l’album Géants aux pieds d’argile fait œuvre utile, puisque la lecture de cette bande dessinée, qui offre un regard privilégié sur la psyché des hommes d’aujourd’hui et le côté sombre de la paternité, pourrait bien les inciter à le faire.
Géants aux pieds d’argile, de Mark McGuire et Alain Chevarier. Publié aux éditions Moelle Graphik, 264 pages.
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