Pour sa toute première bande dessinée, l’autrice et illustratrice franco-chinoise Zovi évoque son séjour prolongé dans la ville de New York au beau milieu de la pandémie, avec l’album Quelqu’un a débranché la Grosse Pomme.
Née d’un père chinois et d’une mère française, Zovi a été élevée en France, mais en 2019, il y a déjà dix ans qu’elle vit en Chine. Joshua, son amoureux avec qui elle entretient une relation à distance, s’apprête à déménager avec elle à Shanghaï dans trois mois. Pour voir comment la cohabitation se déroule, elle décide de profiter du Nouvel An chinois et de passer ses vacances chez lui, aux États-Unis, avant de faire le grand saut. La jeune femme a fait ses bagages pour un séjour de deux semaines, mais au moment même où elle se trouve dans les airs, elle apprend que Wuhan est scellée, et que toute la Chine a été mise en quarantaine. Elle débarque à New York en même temps que le virus de la Covid-19 est déclaré transmissible entre les humains. En conséquence, son séjour s’allonge de plusieurs semaines. Son vol de retour est annulé indéfiniment, et son visa expire. Elle se retrouve alors dans une ville confinée, vivant dans la crainte de se faire expulser du pays mais sans aucun moyen de rentrer chez elle.
Bien que peu de gens aient vécu le confinement à l’étranger, à douze mille kilomètres de leur résidence, nous avons tous nos propres histoires sur la pandémie. Toutefois, à travers un récit intime relatant l’impact de cette sombre et étrange période sur sa vie personnelle, l’autrice et illustratrice Zovi offre aussi un regard sur la culture chinoise, qui demeure assez peu connue des occidentaux, et c’est ce que j’ai trouvé le plus intéressant dans Quelqu’un a débranché la Grosse Pomme. Elle est étonnée par un rassemblement du mouvement Black Lives Matter dans les rues de New York par exemple, alors qu’elle n’a vu aucune manifestation durant les dix dernières années. Elle doit réapprendre la méfiance en déambulant dans certains quartiers mal famés, puisqu’avec toutes les caméras de surveillance, les rues de Shanghaï sont beaucoup plus sûres. Elle compare également le confinement « soft » aux États-Unis à celui en vigueur en Chine, où les citoyens se sont retrouvés carrément emprisonnés chez eux durant des mois.
Quelqu’un a débranché la Grosse Pomme est imprimé en noir et blanc, et n’utilise que des variations de teintes de rouge pour sa coloration, allant du carmin au rosé en passant par le rose nacré et le bourgogne, ce qui crée un style visuel unique. Avec ses personnages naïfs ne possédant que des points en guise d’yeux, les dessins épurés de Zovi n’ont pas beaucoup de profondeur, mais son coup de crayon est éminemment sympathique. Ses illustrations s’étalant sur une pleine page sont beaucoup plus élaborées et magnifiques, dont une balade en scooter dans les rues de Shanghaï, ou une scène dans un parc newyorkais rempli de gens masqués sous une pluie de pétales de cerisiers. De plus, ses compositions graphiques sont inventives. Elle met les dialogues en mandarin sur le côté de ses images traduites, et lors de certaines conversations téléphoniques entre la Chine et les États-Unis, elle place les interlocuteurs chacun dans leur case, avec les phylactères sortant du cadre pour relier les deux personnages.
De prime abord, on pourrait se dire qu’on n’a pas vraiment envie de replonger au cœur de cette sombre période marquée par le confinement, mais au-delà d’une simple histoire de pandémie, Quelqu’un a débranché la Grosse Pomme est une bande dessinée lumineuse qui parle d’amour, d’amitié, de dépaysement, et des choix, professionnels comme personnels, qui changent à jamais une vie.
Quelqu’un a débranché la Grosse Pomme, de Zovi. Publié aux éditions Mécanique Générale, 128 pages.
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