Depuis la parution du rapport sur les risques de l’alcool par le Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances (CCDUS) en août 2022, plusieurs experts ont semblé se contredire. Le Détecteur de rumeurs rappelle l’importance de distinguer les faits des opinions lorsqu’on est confronté à un tel débat.
Ce genre de désaccord entre scientifiques peut en effet provoquer de la confusion dans le public. Toutefois, sans être soi-même un expert, ni lire les 40 pages du rapport, il est possible de déterminer pourquoi l’avis d’un scientifique se démarque parfois de celui d’un autre.
1) Un scientifique et un expert, ce n’est pas la même chose
Un scientifique, peu importe sa discipline, peut avoir une opinion bien arrêtée sur la consommation d’alcool. Cependant, les scientifiques ne sont pas des experts en tout.
Cette nuance est importante puisque le niveau de compétence de l’expert influence les moyens (documents disponibles, stratégies à sa portée) qu’il utilise pour répondre à la question, remarquent des chercheurs australiens qui se sont intéressés aux désaccords entre experts.
Ainsi, étudier la consommation d’alcool et ses effets sur la santé peut intéresser des experts de différents domaines : santé publique, cardiologie, oncologie, études des dépendances, travail social, etc. Par conséquent, un expert peut être très compétent sur une question, mais ne pas être pertinent sur une autre, ajoutent les chercheurs australiens.
Par exemple, si on s’intéresse à l’effet de l’alcool sur la santé cardiaque, obtenir l’avis d’un cardiologue est essentiel. Des chercheurs spécialisés dans l’étude des dépendances ne pourront peut-être pas se prononcer sur cet aspect, mais pourront évaluer l’efficacité de telles recommandations chez les gens qui vivent avec des problèmes de consommation, comme des chercheurs québécois l’ont fait dans Le Devoir en septembre dernier.
2) Toutes les données n’ont pas la même valeur
Au fil des années, des bibliothécaires ont créé des pages web pour aider les étudiants à évaluer la crédibilité d’une source. Ceux de la bibliothèque de l’Australian National University proposent une liste de critères (âge de l’info, pertinence, « autorité » de la source…) qui s’appliquent aussi lorsque vient le temps d’évaluer la pertinence d’un expert.
Le Détecteur de rumeurs s’est également livré à cet exercice ici et ici.
Chaque fois, il est recommandé de se demander si l’expert dispose de données solides pour appuyer son propos. Les études citées n’ont en effet pas toutes le même niveau de rigueur: une étude réalisée auprès d’un petit groupe de participants n’est pas aussi convaincante qu’une méta-analyse qui reprend les données de plusieurs études.
Les chercheurs australiens soulignent enfin qu’il faut se demander si l’expert a accès aux données les plus récentes et les plus pertinentes, puisque les connaissances peuvent changer avec le temps. Par exemple, le rapport du CCDUS s’appuie sur des études récentes pour remettre en question les recommandations concernant la consommation d’alcool.
3) L’expert peut avoir un biais
L’Australian National University suggère aussi de déterminer quel est le but de l’expert qui est interviewé. Informer, distraire ou persuader? Même s’il peut être difficile de distinguer l’un de l’autre, il va de soi qu’un scientifique pourrait éviter de se prononcer défavorablement sur un produit en raison d’un intérêt financier.
Certains biais peuvent aussi être inconscients. Dans une conférence offerte en 2020 dans le cadre de la réunion annuelle de la Society of Environmental Toxicology and Chemistry, on rappelait que les scientifiques ne sont pas immunisés contre les biais de confirmation, c’est-à-dire la tendance à ignorer les faits qui contredisent leur opinion. Selon l’American Physical Society, ce biais peut modifier leurs observations et leurs interprétations.
Par exemple, si un chercheur défend depuis plusieurs années une certaine position par rapport à la consommation d’alcool, il pourrait avoir de la difficulté à accepter de nouveaux résultats qui lui demanderaient de revoir sa position.
4) Deux experts peuvent interpréter le risque différemment
Deux médecins américains, Jerome Groopman et Pamela Hartzband, ont proposé les concepts de « maximaliste » et de « minimaliste » pour distinguer deux façons de concevoir la médecine, qui peuvent influencer l’interprétation des données disponibles. Par exemple, les médecins dits maximalistes ne veulent pas perdre une occasion d’agir et vont utiliser tous les traitements possibles. Au contraire, les médecins minimalistes cherchent à éviter les traitements non nécessaires et leurs effets secondaires.
Selon Groopman et Hartzband, ces différentes visions de la médecine peuvent expliquer que deux experts, ou même deux associations médicales, n’interprèteront pas une même étude de la même façon. Dans le cas du rapport du CCDUS, cela peut expliquer les opinions contradictoires. Par exemple, certains experts considèrent que même un risque faible justifie de diminuer la consommation d’alcool au minimum alors que d’autres suggèreront de mettre ces risques en perspective et seront plus souples dans leurs recommandations. Autrement dit, la tolérance au risque joue un rôle important.
Prendre une décision malgré la controverse
Les désaccords entre experts sont normaux et même nécessaires à l’avancement des connaissances. Cependant, soulignent les chercheurs australiens, ces désaccords peuvent créer de la confusion dans l’esprit des gens, en particulier quand vient le temps de choisir les bons comportements à adopter.
Ces scientifiques donnent justement l’exemple de l’alcool. Dire « l’alcool est bon pour le cœur » et « l’alcool augmente le risque de cancer » n’est pas contradictoire, puisque ces deux affirmations ne sont pas mutuellement exclusives. Cependant, il s’agit d’une contradiction quand vient le temps de prendre une décision : devrait-on boire de l’alcool ou non?
Si les experts eux-mêmes ont du mal à trancher, il est normal que le simple citoyen se sente confus. Mais en gardant un esprit critique, il est possible de déterminer la pertinence des différents experts, de se faire une opinion nuancée d’un sujet controversé et de voir s’il est possible d’adapter les recommandations à sa situation personnelle.
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