On a dit bien des choses sur la Deuxième Guerre mondiale et sur l’Allemagne nazie, mais ce régime ayant érigé l’horreur en principe fondateur continue de révéler ses secrets; à preuve, l’extraordinaire documentaire Music Under the Swastika – The Maestro and the Cellist of Auschwitz, présenté dans le cadre du Festival international du film sur l’art (FIFA).
Réalisé par Christian Berger, le film s’intéresse à un aspect particulièrement intéressant du régime hitlérien, soit la place occupée par la musique au sein de l’appareil étatique. Car sans surprise, cette musique, surtout la musique de compositeurs allemands, sans surprise, est l’une des pierres angulaires du Troisième Reich; il était déjà connu que les oeuvres de Wagner, génie musical, mais aussi antisémite notoire, avaient la faveur du dictateur sanguinaire nazi. Mais qu’en est-il des autres? Qu’en est-il des oeuvres jugées « non conformes » à l’idéal nazi? Ou qu’en est-il des musiciens et des chefs d’orchestre qui ont été confrontés, peu à peu, à l’infiltration de leur milieu par les dogues assoiffés de sang du ministère de la Propagande, sous Goebbels?
Toutes ces questions – et bien d’autres – sont abordées dans ce film de 86 minutes d’une grande justesse; on y propose ainsi de fantastiques documents d’archives, possiblement restaurés, qui montrent le grand chef d’orchestre Wilhelm Furtwängler, l’un des très, très grands noms du classique, mais qui s’est aussi retrouvé à jouer le rôle d’un pantin pour le régime.
Quelle étrange impression de voir cet homme proposer des interprétations magistrales de Beethoven, par exemple, pour ensuite recevoir les félicitations des pontes nazis, voire d’Hitler en personne? Furtwängler a refusé de fuir l’Allemagne alors qu’il en avait l’occasion, en 1936; cela fait-il de lui un collaborateur du régime? Certains experts interrogés dans le cadre du documentaire sont catégoriques : en acceptant de jouer pour les nazis, le chef d’orchestre a souillé son âme. Pour d’autres gens, la réponse est moins claire. Qu’est-ce que cela vient dire, aussi, à propos de l’ensemble du milieu musical allemand, qui a repris son existence presque immédiatement (au moins, à l’Ouest), une fois que les canons se sont tus?
Mais le coeur de ce documentaire, c’est bien sûr cette entrevue incroyable en compagnie d’Anita Lasker-Wallfisch, juive allemande née à Breslau (aujourd’hui Wroclaw, en Pologne), qui subit de plein fouet l’horreur de la guerre et des camps de concentration, mais dont les talents de violoncelliste lui permirent d’échapper aux chambres à gaz d’Auschwitz.
Cette femme, rencontrée récemment (on voit quantité de masques contre la COVID-19 lors de ces segments) et toujours vivante, à 97 ans bien tassés, offre une perspective double sur l’importance de la musique en plein coeur de ce que l’humanité a de pire à offrir. Alors jeune femme dans la vingtaine, la musicienne a ainsi joué non loin de la plateforme où les gardes et médecins nazis triaient les juifs arrivant à Auschwitz et en envoyaient généralement la majorité directement aux chambres à gaz. Elle a aussi donné des concerts pour Joseph Mengele, le docteur sanguinaire responsable de la mort de dizaines de milliers de juifs au sein de ce camp d’extermination.
Et pourtant, même si la musique servait de méthode de soutien pour le régime allemand, elle représentait aussi une échappatoire (temporaire ou non), y compris pour les détenus de ce centre de l’horreur. « Les nazis ont détruit bien des choses », déclarera Mme Lasker-Wallfisch lors de son entretien dans le cadre du documentaire.
« Mais détruire la musique? C’est impossible! »
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