Si les données génétiques inédites dévoilées ces derniers jours s’avèrent exactes, il deviendra encore plus clair que le marché Huanan était bel et bien le lieu d’origine du coronavirus. Du même coup, seront renforcés les soupçons à l’effet que les autorités chinoises ont fourni des informations incomplètes, peut-être pour ne pas être blâmées à propos de leur règlementation laxiste du commerce d’animaux vivants.
Ce que la chercheuse française Florence Débarre, du CNRS (Centre national de recherche scientifique) a découvert le 4 mars, qu’elle a transmis le 14 mars à la commission de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) mise en place pour étudier l’origine de la pandémie, et qui a fait l’objet d’une conférence de presse de l’OMS le 17 mars, ce sont des « données génétiques » trouvées dans la base de données GISAID. Elles proviennent d’échantillons prélevés à l’intérieur et autour du marché Huanan, dans la métropole chinoise de Wuhan, en janvier 2020, immédiatement après que les autorités locales aient fermé le marché en raison des soupçons l’associant déjà à l’apparition du virus.
Le marché avait été vidé de ses animaux et nettoyé, mais les chercheurs avaient alors récolté des milliers « d’échantillons » —c’est-à-dire n’importe quoi susceptible d’avoir conservé une trace d’ADN— en grattant les murs, les planchers, les cages et les chariots.
Ces milliers d’analyses étaient au coeur de trois études qui, parues au début de 2022, avaient fourni les preuves les plus solides à ce jour que le virus était bien originaire de ce marché.
Or, ce qu’il y a de nouveau aujourd’hui, ce sont des données génétiques provenant de cette même récolte de janvier 2020, mais qui ne faisaient pas partie des lots rendus publics dans la foulée des études de l’an dernier. Et non seulement ces données génétiques ne contredisent pas les études en question, elles les renforcent. D’après ce qui a été dit lors de la conférence de presse du 17 mars —et qui n’a pas encore fait l’objet d’une étude publiée— on a observé dans plusieurs des échantillons qui contenaient des séquences génétiques de coronavirus, une grande quantité de matériel génétique de chiens viverrins (en anglais, raccoon dogs), ainsi que de quelques autres mammifères.
Un possible intermédiaire pour le virus
Le chien viverrin est un animal qui était en vente dans ce marché et qui, depuis trois ans, fait partie des suspects: il est un de ces animaux qui auraient pu servir « d’intermédiaire » entre le coronavirus de la chauve-souris et celui qui est devenu « notre » coronavirus. Le magazine The Atlantic a été le premier à rapporter la nouvelle, le 16 mars.
Le chien viverrin n’est pas un chien, malgré son nom, mais un proche cousin du renard. C’est un animal élevé d’abord pour sa fourrure. La Chine en est le principal producteur: les plus récents chiffres disponibles, de 2014, évoquent 14 millions de fourrures, ou 100 fois plus qu’en Europe.
Il est originaire d’Asie de l’Est. Il s’est toutefois répandu en Europe où il est devenu une espèce invasive.
Aussi élevé pour sa viande, il est vendu dans des marchés d’animaux vivants, et il l’était dans celui de Huanan au moins jusqu’en novembre 2019, comme l’ont démontré les données génétiques —celles qui avaient été publiées l’an dernier, tout comme celles qui, apparemment, viennent d’être redécouvertes.
Le « apparemment » est de rigueur, parce qu’une partie du parcours suivi par ces données reste mystérieux. Des chercheurs chinois associés à une des trois études parues au début de 2022, auraient, en janvier 2023, déposé dans GISAID —base de données internationale des séquences génétiques de virus— de nouvelles données brutes sur ces échantillons récoltés au marché. Le 4 mars, la biologiste Florence Débarre a donc remarqué la présence de ces nouvelles données. Alertés à ce sujet, certains des biologistes et virologues derrière les études de l’an dernier ont plongé dans ces données, pour confirmer qu’elles étaient bel et bien inédites. Ils disent avoir alors contacté leurs collègues chinois pour en savoir plus. Les données auraient ensuite été retirées de GISAID, sans qu’on semble savoir par qui.
Rejoint par la revue Science le 16 mars, le biologiste chinois George Gao a répondu que les séquences génétiques ne contiennent « rien de neuf. Il a été dit qu’il y avait du commerce illégal d’animaux et c’est pourquoi ce marché avait été immédiatement fermé. »
Quant aux chercheurs interrogés par The Atlantic, ils n’en ont pas dit plus, dans l’attente de la publication de leurs résultats complets.
Le virologue américain Jeremy Kamil, qui n’a pas participé à ces recherches, commentait le 16 mars dans le New York Times que même si on ne peut pas parler d’une preuve définitive, « ça remet le projecteur sur le commerce illégal d’animaux ».
Ces données ne prouvent en effet pas que c’est au marché que le virus a été transmis pour ls première fois aux humains. Mais à tout le moins, ces données confirment que des chiens viverrins ont laissé leur signature génétique au même endroit que le coronavirus. C’est une pièce cruciale du casse-tête, rappellent les scientifiques interrogés par la journaliste de The Atlantic.
Mais en attendant, l’OMS en appelle — une fois encore — à plus de transparence dans le partage des informations, seule façon de venir à bout de cette pandémie — et des prochaines pandémies. « Ces données n’apportent pas de réponse définitive » a souligné le 17 mars le directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus. Mais toutes les preuves manquantes doivent « être partagées avec la communauté internationale immédiatement. Ces données auraient pu — et auraient dû — être partagées il y a trois ans. »
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