Le président russe Vladimir Poutine a trouvé des appuis à un endroit étonnant : aux États-Unis. Plus spécifiquement, les chrétiens nationalistes, une branche de la droite religieuse américaine, se sont rangés du côté du dictateur, selon une nouvelle étude réalisée notamment par Sarah Riccardi-Swartz, spécialisée en religion et anthropologie à l’Université Northeastern.
Au dire de la chercheuse, ce niveau d’appui pour M. Poutine chez les chrétiens nationalistes est particulièrement notable, entre autres en raison de leur opposition ou indifférence simultanée envers la Russie elle-même.
« Même si ce groupe est ambivalent envers la Russie en tant que construction géopolitique, ou si ces membres considèrent même Moscou comme une menace, ceux-ci demeurent favorables au chef du Kremlin comme figure politique », a-t-elle déclaré.
« Cela semble suggérer que les Américains se décrivant comme chrétiens nationalistes sont attiré par Poutine en tant qu’homme fort et leader ethno-nationaliste, tout comme ils l’étaient avec [l’ex-président Donald] Trump. »
Le nationalisme chrétien est une idéologie qui, au cours des dernières années, s’est répandue au sein des communautés chrétiennes américaines, affirme Mme Riccardi-Swartz. Ce mouvement n’est pas restreint à une seule dénomination religieuse et se définit par la croyance voulant que les États-Unis sont une nation chrétienne possédant des valeurs spécifiques, nation qui doit être protégée contre « un genre de déclin moral provoqué par la diversité de la démocratie et la diversité de la société en général », mentionne encore la chercheuse.
Il en résulte une idée selon laquelle la notion d’État est inséparable de la vision mêlant « Dieu, les armes à feu et la Nation » qui définit certaines parties du Parti républicain et du conservatisme américaine, a poursuivi la spécialiste.
Pour mesurer le niveau de favorabilité des nationalistes chrétiens envers Poutine et la Russie, Mme Riccardi-Swartz et ses collègues ont utilisé des données provenant de plusieurs sondages, données qui visaient à mesurer les sentiments des chrétiens nationalistes durant la présidence Trump, après celle-ci et à la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie.
Les travaux ont permis d’établir qu’en 2018, les participants qui avaient indiqué que les États-Unis avaient été, ou étaient toujours une nation chrétienne tendaient à voir Poutine de façon plus favorable. Pendant ce temps, ceux qui disaient croire que les États-Unis étaient une nation chrétienne, soit la catégorie la plus extrême sur l’échelle du nationalisme chrétien, étaient ceux qui voyaient la Russie de la façon la plus positive.
En 2021, les résultats étaient largement les mêmes : plus les participants se disaient chrétiens nationalistes, plus ils avaient tendance à être favorables au dictateur russe. De façon encore plus notable, en 2022, après l’invasion russe, les personnes ayant obtenu une note très élevée ou très basse sur l’échelle du nationalisme chrétien, étaient toutes moins favorables à la Russie. Cependant, plus une personne obtenait une « note » élevée sur cette échelle, plus elle continuait de soutenir Poutine comme leader. Ainsi, le président autocrate russe demeure, du moins pour les Américains adhérant à la vision de la droite religieuse de ce pays, plus ou moins séparé du pays qu’il dirige d’une main de fer depuis une vingtaine d’années.
« Même si les actions de l’État sont en quelque sorte violentes et que le pays commet des actes de violences envers une autre nation, l’homme lui-même semble être l’exemple parfait de ce que les chrétiens nationalistes désirent, ce qui est, largement, un État blanc », explique Mme Riccardi-Swartz.
Plus ça change…
Le passage des craintes par rapport à la « panique rouge », sous l’URSS, à propos de la dissémination de l’influence russe, à l’acceptation à bras ouverts de Poutine par les chrétiens nationalistes, peut avoir des allures de changement radical. Mais pour la chercheuse, cela n’est pas surprenant, compte tenu de l’histoire du conservatisme religieux aux États-Unis et en Russie. Cette dernière, particulièrement à l’époque soviétique, où l’État a tenté de réduire le rôle de la religion, a été historiquement la cible des efforts d’évangélisation des conservateurs religieux américains.
« Les conservateurs américains ont toujours aimé l’idée de soit sauver la Russie d’elle-même, ou, maintenant, de l’utiliser pour se sauver eux-mêmes », a indiqué Mme Riccardi-Swartz.
Celle-ci affirme que la tentative de Poutine de se définir comme un défenseur des « valeurs traditionnelles » et des chrétiens russes, entraînant la résurgence de l’Église orthodoxe russe, a également aidé à positionner la Russie comme un symbole pour les chrétiens nationalistes. Pour ces derniers, il ne s’agit plus d’un pays communiste athée : c’est un endroit où les chrétiens jouissent d’une liberté de religion, soutient la spécialiste.
« Cela semble très attirant, pour les chrétiens conservateurs aux États-Unis, qui ont l’impression que notre démocratie libérale empiète sur leur liberté de religion. »
Ainsi, entre Poutine et les chrétiens nationalistes, l’idéal est celui de la « pureté », qu’elle soit culturelle, religieuse, raciale ou sexuelle, qui est en opposition aux immoralités sociales présumées.
« Les droits des minorités sexuelles, les droits des transgenres, l’accès à l’avortement, l’égalité en matière de reproduction, tout cela est une menace pour eux, parce qu’ils perçoivent le tout comme venant souiller la pureté de leur culture sociale », a encore mentionné Mme Riccardi-Swartz. « L’objectif devient alors de créer un monde dans lequel les valeurs sociales sont celles des chrétiens. »
La chercheuse martèle aussi que la montée en puissance des chrétiens nationalistes explique aussi, en partie, l’accession au pouvoir de Donald Trump, qui a alors effectué plusieurs nominations au sein de la Cour suprême. La majorité conservatrice au sein du plus haut tribunal américain a par la suite utilisé son pouvoir pour remodeler plusieurs aspects de la société, des droits en matière de reproduction à la séparation entre l’Église et l’État.
Au même moment, la rhétorique antitrans, présentée comme une réponse aux présumées attaques contre les « valeurs traditionnelles », est devenue un pilier des politiques des républicains, ce qui a entraîné le dépôt d’une série de projets de loi visant les personnes trans et la communauté LGBTQ dans son ensemble.
Aux yeux de Mme Riccardi-Swartz, si Poutine est une source d’inspiration pour les chrétiens nationalistes, dont le pouvoir a crû considérablement au cours des dernières années, tout cela n’est que le début. « Si vous regardez à l’étranger, dans des endroits comme la Hongrie de Viktor Orban, ou dans la Russie de Poutine, ce sont des lieux où le phénomène n’a pas fait que commencer, il est en cours. Et cela est intéressant pour [les chrétiens nationalistes américains], puisqu’ils se disent « hé, voilà un plan des choses à accomplir ici ».»
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