Près de trois heures de spectacle (avec un entracte qui n’en est pas vraiment un), 22 artistes sur scène, un mur de vrais parpaings qui s’effondre bruyamment et impose ses gravats et autres poussières aux danseurs, des coups de feu, du désordre, des détritus, de l’eau… et toute une foule bigarrée de personnalités avec leurs vies, leurs manies, leurs soucis, leurs amours…
C’est à la suite d’une résidence à Palerme en Sicile que Pina Bausch (décédée en 2009) conçut son ballet Palermo Palermo.
Nous étions en 1989, avant le mois de novembre. Ressentit-elle alors l’imminence de l’effondrement d’un autre mur? Toujours est-il que les restes encombrants d’un mur bien réel occupent la scène d’un ballet où les artistes se succèdent en talons aiguilles ou les pied nus, avec leurs vêtements de ville et de vie, ceux de la population de Palerme à travers les yeux de Pina Bausch. Quelque chose du néoréalisme qu’on a connu dans le cinéma italien, mais par l’immense chorégraphe allemande.
Entre théâtre et danse, mais sans conteste du côté de la danse contemporaine, Palermo Palermo se déploie comme une longue série de petits portraits, éphémères ou récurrents. Nous sommes dans les années 80 à Palerme au bord de la mer. Il fait chaud, l’eau est rare, les gens vivent et leurs bizarreries apparaissent quand, étranger, nous nous approchons d’eux et que nous les observons mais à une certaine distance.
Sur fond de différentes musiques, locales ou pas, les personnages entrent en scène presque à tour de rôle. Un fait saillant apparaît à chaque fois de leur personnalité. Leur manière de s’habiller, leur façon de parler quand ils nous racontent une anecdote et ce qu’elle contient, leur comportement avec d’autres.
Il y a cette femme fragile, mais harcelante, et ses deux chevaliers servants qui se plient à tous ses caprices; il y a cet homme qui accumule chez lui un bric-à-brac bizarre dont un serpent, ces jeunes baigneurs, ce jeune homme simple et ancré dans les traditions locales, cette femme qui collectionne les chaussures sophistiquées ou cette autre qui se refuse à donner ses spaghettis et qui le répète inlassablement…
Pour tous ces portraits et tant d’autres, où l’humour est très présent, c’est beaucoup moins un comportement théâtral qui est attendu des artistes, que celui qui caractérise l’art de la danse contemporaine. Les chorégraphies de Pina Bausch impliquent beaucoup les bras et mènent les corps – jeunes ou moins jeunes – de manière toujours très originale dans leurs marches ou dans leurs danses.
Les personnes sont parfois transportées par d’autres comme des poupées rigides. Les corps se défoulent par moments, se bousculent, se remplacent. Tout le spectre de la danse est finalement déployé avec plutôt des solos ou de danses individuelles en première partie et des danses coordonnées dans la deuxième. Comme pour dire que tous ces individus si différents qui composent la population de Palerme et que Pina Bausch s’amusa à observer à sa manière forment finalement un tout, un ensemble cohérent qu’elle nous donne à voir un peu comme l’aurait fait Fellini s’il avait voulu rendre compte de cette ville sicilienne de Palerme.
Palermo Palermo
Une oeuvre de Pina Bausch
En coproduction avec le Teatro Biondo Stabile, Palerme et Andres Neumann International.
Avec : Emma Barrowman, Andrey Berezin, Dean Biosca, Naomi Brito, Maria Giovanna Delle Donne, Taylor Drury, Çağdaş Ermiş, Letizia Galloni, Simon Le Borgne, Reginald Levebvre, Alexander Lopez Guerra, Nicholas Losada, Eddie Martinez, Franko Schmidt, Azusa Seyama, Julie Anne Stanzak, Oleg Stepanov, Julian Stierle, Christopher Tandy, Tsai-Wei Tien et Tsai-Chin Yu.
Et les artistes invités Nazareth Panadero et Christoph Iacono.