Un ballon chinois détruit par un avion militaire américain, puis d’autres ballons, ceux-là non identifiés, qui subissent le même sort en quelques jours : la machine à spéculations s’est emballée, et le Détecteur de rumeurs a voulu démêler le vrai du faux.
1) Les ballons sont utilisés depuis très longtemps
Les Français seraient les premiers à avoir employé des ballons à des fins militaires en 1794, pendant les guerres de la Révolution française. Les Américains y ont eu recours pendant la guerre civile (1861-1865) pour des missions de reconnaissance et pour diriger l’artillerie.
L’Agence américaine des océans et de l’atmosphère (NOAA) rapporte pour sa part utiliser des ballons pour collecter des données sur la température et l’humidité depuis 1930. Par ailleurs, c’est en 1961 que la Columbia Scientific Balloon Facility a été fondée au Colorado. Elle est ensuite passée sous le contrôle de la NASA en 1982.
2) Leur usage dans la stratosphère n’est pas nouveau
Certes, les premiers ballons n’allaient pas aussi haut que l’engin chinois abattu par les Américains. Celui-ci appartient à la catégorie des ballons stratosphériques. La stratosphère est cette portion de l’atmosphère située entre 15 et 50 km d’altitude, trop basse pour les satellites, mais trop haute pour les avions. L’Agence spatiale canadienne (ASC) explique, dans un document remis à jour à l’été 2022, que les ballons stratosphériques peuvent s’y maintenir pendant « des jours, des semaines ou même des mois ». Ces engins disposent aussi d’une nacelle pouvant transporter de l’équipement.
3) Il y a beaucoup, beaucoup de ballons
Les ballons sont beaucoup plus nombreux dans le ciel qu’on pourrait le croire. Par exemple, la NOAA disait lancer, en 2018, deux ballons météorologiques par jour à partir de 92 sites à travers les États-Unis, c’est-à-dire plus de 65 000 ballons par année! Treize de ces sites sont en Alaska.
On ne précise pas combien se rendent jusqu’aux altitudes dont il a été question ces derniers jours, mais autant la NOAA que l’ASC précisent que leurs ballons météo peuvent se rendre à des altitudes de 20 à 40 km.
En 2012, l’Agence spatiale canadienne a créé le programme de ballons stratosphériques STRATOS alors qu’en 2017, l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) a lancé un projet de ballons stratosphériques équipés de radars, appelé BALSAR.
Certaines entreprises privées disposent aussi de ballons stratosphériques qui peuvent être utilisés par d’autres. C’est le cas de World View, qui compte parmi ses clients la NASA, la NOAA et le gouvernement américain. C’est aussi le cas de Sierra Nevada Corporation, une entreprise qui développe des technologies pour la défense et l’aérospatial, et qui annonçait en août 2022 avoir été choisie par le ministère de la Défense du Royaume-Uni pour participer au projet Aether: celui-ci vise à déployer des ballons en haute altitude à des fins de communication, d’espionnage et de surveillance.
4) Plusieurs types de ballons, plusieurs usages
Les ballons météorologiques utilisés le plus souvent par la NOAA ou l’Agence spatiale canadienne sont faits de latex ou de néoprène. Ils ont un diamètre de 5 à 13 mètres et peuvent voler pendant environ 2 heures, à 30 km d’altitude. Ils sont munis de radiosondes pouvant mesurer la pression, la température et l’humidité, mais ne peuvent pas transporter plus de 8 kilogrammes.
L’Agence spatiale canadienne utilise également des ballons stratosphériques ouverts qui ont la forme d’une larme à l’envers. Faits de polyéthylène, leur volume est d’au moins 40 fois la taille d’une piscine olympique (100 000 m3) lorsqu’ils se déploient. Ils peuvent ainsi transporter plusieurs tonnes de matériel, atteindre une altitude de 40 km et demeurer plus longtemps dans la stratosphère.
La NASA emploie aussi des ballons similaires. Ils disposent toutefois de ballons ultra longue durée qui peuvent voler pendant une centaine de jours. En effet, ils réussissent à maintenir une altitude constante parce qu’ils sont scellés et pressurisés. Ces ballons ont un volume de 532 000 m3 et peuvent transporter jusqu’à 3600 kg d’équipement, c’est-à-dire le poids de trois petites automobiles.
Enfin, les ballons des compagnies privées comme World View sont généralement plus petits, et peuvent transporter jusqu’à 50 kg. Ils volent à des altitudes d’environ 29 km.
5) Les ballons ont des avantages par rapport aux satellites
La compagnie World View souligne que les ballons stratosphériques sont cinq fois plus près du sol que les satellites. Cela leur permet d’obtenir des images plus précises, d’une plus grande résolution. Il est toutefois probable que les satellites-espions aient une capacité supérieure.
Mais le plus gros avantage sur les satellites, c’est que les ballons ne sont pas limités par un parcours en orbite et peuvent donc observer plus longuement, puisqu’ils peuvent demeurer au même endroit pendant plusieurs jours, voire des semaines.
Enfin, l’Agence spatiale canadienne souligne que les ballons stratosphériques coûtent 40 fois moins cher qu’un satellite.
6) Des applications militaires, policières, scientifiques et peut-être commerciales
Dans un document de vulgarisation de l’armée américaine publié en 2019, le lieutenant-colonel Anthony Tingle décrit les applications militaires des ballons stratosphériques. Selon lui, ces engins peuvent accomplir des missions d’espionnage, de surveillance, de reconnaissance, de communication et de détection des missiles.
De plus, le site web de l’OTAN mentionnait en 2020 que les ballons de surveillance peuvent servir au contrôle des frontières et à l’évaluation des dégâts en cas de catastrophe. Ils peuvent aussi être utiles pour lutter contre le trafic d’êtres humains, d’armes ou de drogues. Par exemple, les ballons équipés de radars permettent de détecter les objets en mer et d’identifier les auteurs d’actes illicites.
Les ballons peuvent également être employés à des fins commerciales ou scientifiques. On évoque l’exploration énergétique ou minière, la surveillance des feux de forêt, le suivi des rendements en agriculture, etc. Le programme Stratos de l’Agence spatiale canadienne offre pour sa part aux universités et aux entreprises canadiennes la possibilité de tester et de valider de nouvelles technologies ainsi que de réaliser des expériences scientifiques dans un environnement « quasi spatial ».
Enfin, Alphabet, l’entreprise derrière Google, a soutenu pendant plusieurs années le projet Loon, qui cherchait à améliorer l’accès Internet dans les régions éloignées ou lors de catastrophes naturelles, à l’aide de ballons stratosphériques. Le projet s’est toutefois arrêté en 2021 parce qu’il n’était pas jugé viable commercialement.