Depuis le 15 octobre dernier, la figure de Jean-Michel Basquiat trônait au Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM). Avant de traverser l’Atlantique vers la Ville Lumière, la conservatrice en chef Mary-Dailey Desmarais porte un regard encore ébloui sur l’attrait et la popularité de l’exposition, ainsi que son impact dans les milieux de recherche, sur un artiste à la carrière éclair inoubliable, disparu en 1988.
Maître pictural de la sonorité
Personnalité à contre-courant, Jean-Michel Basquiat né en 1960 appartenait à une communauté new-yorkaise avant-gardiste. Un milieu fréquenté par une jeune Madonna et d’autres artistes en devenir. Mu par un désir de traiter des enjeux de son époque – le racisme et les inégalités sociales – son legs artistique regroupe près de 800 œuvres, réalisées en l’espace de sept années. Une fulgurance et un rythme fécond qui ne fut toutefois pas le déclencheur pour créer cette exposition, selon la conservatrice.
« Basquiat a marqué sa génération en abordant des enjeux toujours d’actualité, depuis quarante ans ! C’est la première fois qu’une exposition porte sur l’impact de la musique sur son travail. C’est elle qui fournit la clé d’interprétation », introduit-elle, se réjouissant de l’apport des prêts du Musée de la musique – Philharmonie de Paris et du Musée d’art contemporain de Barcelone dont le fameux tableau King Zulu.
Avec une trame sonore s’infiltrant dans les oreilles, l’exposition rend hommage aux musiques afro-américaines et aux influences de l’Afrique. Une complexité de dimensions musicales reflétées en traits de peinture qui approfondissent le discours de l’artiste, à la poursuite des Miles Davis et Charlie Parker, mais également Beethoven ou la Callas.
Grâce au multimédia, le format À plein volume attire petits et grands, sans clivage d’âge. L’époque alternative devient une aventure d’exploration, derrière un pan d’écrans de télévision où se déroulent les nuits new-yorkaises de Basquiat DJ aux platines. Pour la conservatrice, chaque visiteur y trouve son intérêt, ce qui lui réchauffait le cœur, à chaque passage dans les salles. « On doit ouvrir sa pratique au grand jour, par un mélange de cultures artistiques qui furent les sienne : la poésie, la musique new wave et le hip hop, un mouvement en croissance aux débuts des années 80. Basquiat faisait partie de ce monde, il en fut un acteur majeur, aussi en tant que musicien artiste. »
Parker et sa résonnance sur toile
L’œuvre intitulée Now’s the time avec copyright imbriqué intrigue. Sur fond circulaire noire évoquant un immense disque, ce prêt de la fondation Brant de New-York pourrait porter à lui seul la quintessence de la musique pour Basquiat. Le tableau transpose un hommage outrepassant ses contours, comme le retrace Mary-Dailey Desmarais. « Dans l’esprit de l’artiste, le jazz des années 40, l’influence du saxophoniste Charlie Parker, s’avérait le genre le plus important. Ce disque monumental rend hommage à ce pionnier du bebop. Il identifie son audace par cette œuvre qui cache l’élément tragique de la perte de la fille de Parker, Pree, à l’âge de trois ans. » Basquiat s’inscrit dans l’histoire du peuple afro-descendant, reconnaissant leur sous-considération, l’injustice entraînant leur misère d’être sous-payé par l’industrie de la musique comme celui de l’Art. Le signe du copyright ajoute cette marque de marchandisation des artistes noirs, de leur sous- condition. Un niveau de réflexion apposé consciemment par Basquiat.
Raviver la lumière de Basquiat
Au terme de l’exposition, une discrète mention sur la disparition tragique de l’artiste âgé de 28 ans. « Une étoile filante » qui s’apprêtait à assister à un concert de hip hop en ce jour fatal. Afin de maintenir le jeune homme sous le spectre de la lumière, Mary-Dailey Desmarais croit que sa biographie a trop primé sur son œuvre. Il s’est éteint trop tôt et la complexité de son travail reste le fil conducteur d’À plein volume.
Que retenir de Basquiat au terme de ce cycle au MBAM? Une certaine nostalgie d’une jeunesse carburant aux platines, certes, mais surtout, un nouvel éclairage sur un être dont les études des chercheurs de l’art n’ont pas encore circonscrit. C’est maintenant à la Cité de la musique de Paris que l’onde résonnera.