Les prix des aliments sont à leur plus haut en 15 ans, au Royaume-Uni, et un phénomène similaire a lieu dans pratiquement tous les pays de la planète. Cette situation devrait empirer alors que le prix des engrais, et les rendements moindres imputables à l’utilisation réduite de ces derniers, pourrait entraîner une hausse des prix encore plus marquée. Au dire du chercheur Peter Alexander et de son équipe, cette augmentation pourrait entraîner la mort de jusqu’à un million de personnes supplémentaires.
Les travaux de recherche de ces spécialistes, publiés dans Nature Food, indiquent qu’une augmentation des prix mènera à la dégradation du régime alimentaire d’un très grand nombre d’individus; en plus des décès, M. Alexander estime que 100 millions de personnes pourraient rejoindre les rangs des personnes souffrant de malnutrition.
Au dire de M. Alexander, ce phénomène ne s’explique pas simplement par la réduction des exportations de denrées alimentaires en provenance de l’Ukraine et de la Russie, « dont l’impact sur les prix des aliments n’est pas aussi pire qu’anticipé ».
« Et contrairement à d’autres hausses des prix de la nourriture, celle-ci semble partie pour durer. Il pourrait s’agir de la fin d’une ère d’aliments offerts à bas prix. »
Chamboulement des marchés des aliments et des engrais
Toujours selon le chercheur, si les prix des commodités – pétrole, céréales et autres produits de base – ont baissé depuis leur pic de la mi-2022, ils demeurent élevés. À la fin de l’année dernière, le prix moyen du maïs était supérieur de 29 % à ce qu’il était en janvier 2021; pour le blé, un autre produit essentiel pour des centaines de millions de personnes, la hausse atteint les 34 %.
« Cela a entraîné la hausse du prix des denrées, par exemple l’inflation de 16,8 % enregistrée au Royaume-Uni, sur une période d’un an, en date de décembre 2022 », mentionne encore M. Alexander, qui précise que « deux des principaux facteurs de ces hausses sont l’augmentation des prix de l’énergie et les chamboulements en matière de commerce international, deux situations étroitement liées à l’invasion de l’Ukraine par la Russie », il y a bientôt exactement un an.
Les sanctions, explique le chercheur, et d’autres impacts liés à la guerre ont attiré l’attention des médias et du public, mais semblent avoir masqué des enjeux encore plus importants. Ainsi, les prix de l’énergie ont un impact direct sur les prix des aliments, en augmentant les coûts de la production agricole, notamment les prix de l’engrais, puisque du gaz naturel est employé pour produire des engrais azotés, et représente de 70 à 80 % du prix de la production d’engrais.
De plus, indique M. Alexander, les agriculteurs pourraient réagir en utilisant moins d’engrais, ce qui entraîne une baisse de la productivité, avec là aussi un impact à la hausse sur le prix des denrées.
Ainsi, de 2021 à 2022, le prix de l’urée, un engrais azoté largement utilisé, a pratiquement doublé, alors que le coût du gaz naturel, lui, a dépassé la barre des 100 % d’augmentation, même si ces deux produits coûtent maintenant moins cher qu’au début de l’été 2022. Cette croissance a malgré tout entraîné une baisse de la production d’engrais azotés, puisque des plantes ont cessé d’être rentables, particulièrement en Europe, « où 70 % de la capacité de production a été réduite », souligne M. Alexander.
Des impacts en 2023, et au-delà
« Dans notre étude, nous avons tenté de mieux comprendre comment les prix de l’énergie et des engrais, ainsi que les restrictions à l’exportation, affectent les futurs prix des aliments à l’échelle mondiale. Et nous voulions quantifier les effets délétères provoqués par ces hausses, en lien avec la santé nutritionnelle humaine et l’environnement », indique le chercheur.
Ce dernier, en compagnie de son équipe, s’est tourné vers des modèles informatiques pour atteindre son objectif.
Parmi les conclusions, on constate que les hausses des prix de l’énergie et des engrais sont les principaux facteurs d’impact sur la sécurité alimentaire, alors que la réduction des exportations ukrainiennes et russes a un impact moindre.
« L’effet combiné des restrictions à l’exportation et des hausses de prix de l’énergie et des engrais pourraient entraîner une augmentation du prix des aliments de 81 % par rapport aux niveaux de 2021 », lit-on dans l’étude.
Une telle augmentation, écrivent les chercheurs, ferait en sorte qu’en 2023, le prix du blé pourrait augmenter d’autant qu’en 2022. Avec, à la clé, une augmentation du prix du pain, un aliment essentiel pour la majorité des humains.
Trop cher de bien se nourrir
Les augmentations du prix des aliments feront en sorte que pour bien des gens, la qualité du régime alimentaire ira en se dégradant, particulièrement du côté des plus pauvres. « Nos conclusions portent à croire que l’on pourrait compter jusqu’à 1 million de morts supplémentaires et plus de 100 millions de personnes mal nourries en plus si les engrais continuent de coûter si cher », dit M. Alexander.
Les décès se concentreraient principalement en Afrique sub-saharienne et du Nord, ainsi qu’au Moyen-Orient.
Toujours selon les chercheurs, le modèle utilisé prévoit qu’une augmentation marquée du prix des engrais – qui sont essentiels pour produire des récoltes abondantes – entraînerait une forte réduction de leur utilisation par les agriculteurs.
Sans engrais, il faut utiliser davantage de terres agricoles pour nourrir la planète. D’ici 2030, cela pourrait faire augmenter les terres agricoles de l’ordre de 200 millions d’hectares, avancent les chercheurs, « soit une zone de la taille de la quasi-totalité de l’Europe de l’Ouest – Belgique, France, Allemagne, Irlande, Italie, Pays-Bas, Portugal, Espagne et Royaume-Uni combinés ».
Cela signifierait une plus grande déforestation, ainsi qu’une forte hausse des émissions polluantes, sans compter la perte colossale en matière de diversité.
Si presque tout le monde subira les impacts des coûts plus élevés des aliments, ce sont les plus pauvres, qui peinent déjà à trouver de quoi s’acheter de la nourriture saine, qui seront les plus touchés, rappelle M. Alexander.
« Subventionner les engrais semble être une solution évidente à un problème largement imputable au coût élevé de ceux-ci. Cependant, cela ne fait qu’entretenir un système alimentaire qui nous a donné une épidémie d’obésité, laissé des millions de personnes mal nourries, a contribué aux changements climatiques, et est le principal facteur de la perte de biodiversité », rappelle-t-il.
Selon lui, il faudrait plutôt mettre en place des actions ciblées pour s’assurer que les moins nantis puissent se payer des aliments santé, ce qui pourrait s’avérer plus efficace (et abordable) pour lutter contre les prix élevés, en plus d’aider à transformer le système alimentaire pour le rendre meilleur pour la santé et plus durable.