Nous sommes en 2025, pas beaucoup plus tard qu’aujourd’hui, et l’avortement est devenu un acte illégal, relayé par des cellules clandestines où les femmes qui ont besoin d’y recourir doivent se plier à un protocole très précis avec une grande prise de risques pour déjouer les autorités.
Dans une cuisine sordide où l’on cuisine les patientes plutôt que les accueillir dans une clinique bien organisée et sécuritaire ou que leur administrer la pilule abortive (qui doit bien encore exister quelque part en 2025), deux femmes courageuses bravent l’interdit. Il se trouve qu’elles sont toutes les deux enceintes. L’une, mère célibataire, veut garder son enfant, l’autre en couple n’en veut pas. Une troisième femme enceinte est attendue, elle est en retard par rapport au protocole, et quand elle arrive, tout bascule.
Cette première partie (assez lente, mais intéressante) de la pièce Clandestines, écrite par Marie-Ève Milot et Marie-Claude St-Laurent aurait pu pousser la situation jusqu’au bout, l’analyser, soulever les questions en faveur ou contre le droit à l’avortement, en fonction du mois de grossesse et de la condition de la mère, du père, du danger que font courir les fondamentalistes de l’antichoix etc. Le débat, même si dans le Québec actuel et dans la plupart des pays libres (l’arrêt Roe v. Wade, il est vrai, a été annulé par la Cour suprême aux États-Unis) ne fait plus trop débat, et c’est tant mieux, aurait pu quand même examiner tous les points de vue. Mais ce n’est pas le parti qu’ont pris les deux autrices.
Après un entracte où le décor se métamorphose, on se retrouve au cœur d’une multitude de situations, dont celle de la première partie, mais sans qu’on arrive réellement à s’y retrouver où qu’on comprenne bien finalement de quoi on parle. Une quantité incroyable de personnages apparaissent, un homme politique, une étudiante, une grand-mère retraitée qui pour combler son ennui, s’est transformée en militante anti-avortement quand même pleine d’empathie et bien d’autres… beaucoup de monde sur scène, beaucoup de fragments d’un temps futur dont on ne comprend que partiellement les enjeux; un comité officiel des avortements, une obscure association des chevaliers de Colomb, des médecins qui refusent le geste, un homme politique qui milite contre l’avortement après une certaine durée de grossesse…
Qui trop embrasse, mal étreint. On est un peu noyé sans être capable de tirer le fil du réel enjeu soulevé par la pièce. Beaucoup de bruit pour rien ou juste pour se faire peur.
C’est bien regrettable, selon moi. Le talent des acteurs et la qualité du texte, tout comme celle de la scénographie, auraient mérité qu’on décrive sereinement et clairement le problème. Ça n’est pas le cas. Les saynètes s’enchainent, se croisent, reprennent à un rythme effréné, qui d’ailleurs tranche aussi radicalement avec la première partie un peu trop lente.
J’en suis sortie pas plus avancée qu’au départ. Toute cette complexité mal digérée risque de nous obliger à penser qu’il y a d’un côté les gentils et de l’autre les méchants; le réflexe étant de simplifier quand les choses sont trop compliquées, alors qu’il aurait été si intéressant de pousser le spectateur à complexifier au contraire les choses dans un débat qui pour certains militants antichoix parait tellement simple et évident.
Clandestines : texte de Marie-Eve Milot et Marie-Claude St-Laurent
Mise en scène : Marie-Éve Milot
Avec Alexandre Bergeron, Sophia Blondin, Diane Lavallée, Myriam LeBlanc, Nahéma Ricci, Marie-Claude St-Laurent et Mattis Savard-Verhoeven
Clandestines, du 24 janvier au 11 février 2023 au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, à Montréal