La politique « zéro COVID » de la Chine et les impacts continus de la règle de l’enfant unique ont contribué au déclin de la population de l’empire du Milieu, affirment des chercheurs de l’Université Northeastern, et une diminution de la main-d’oeuvre chinoise pourrait pousser le géant manufacturier à recruter des travailleurs migrants.
Le 17 janvier, le Bureau national des statistiques de la Chine a rapporté que la population du pays atteignait 1,411 milliard, soit un recul de 850 000 individus depuis l’année précédente. Cette nouvelle a fait grand bruit, puisque cela voulait dire que l’Inde était désormais plus peuplée que sa voisine.
« La diminution de la population chinoise, en 2022, est à la fois accidentelle et inévitable », estime Xiaolin Shi, spécialisée en économie et rattachée au College of Social Sciences et Humanities de Northeastern.
Celle-ci croit que le taux de natalité de la Chine fut inhabituellement bas, l’an dernier, en raison de la politique « zéro COVID » de Pékin.
« Plusieurs personnes ont vécu dans des conditions particulièrement désagréables », a ajouté Mme Shi, qui indique que des familles et des communautés entières ont parfois dû se placer en quarantaine pour un seul cas de COVID-19, les hôpitaux ne traitaient pas nécessairement les maladies non liées à la COVID, et plusieurs personnes se sont retrouvées sans travail.
Ainsi, les gens n’avaient ni l’argent, ni l’énergie pour penser à se marier ou avoir des enfants, indique encore Mme Shi, tout en subissant la pression pour payer des loyers et des hypothèques chers.
Lorsque la politique « zéro COVID » a été abandonnée par le gouvernement, en décembre dernier, le virus s’est répandu rapidement à travers le pays, et le taux de mortalité a bondi.
« L’an prochain, je crois que la population va augmenter, parce que ce sera l’année du dragon, selon l’astrologie chinoise », a poursuivi Mme Shi. Les Chinois croient ainsi être des descendants du dragon, et tentent de coordonner les grossesses pour une année du dragon, parce qu’ils estiment que les enfants nés durant cette année-là sont plus forts, plus braves et plus chanceux.
La chercheuse s’attend toutefois à ce que le taux de croissance de la population chute abruptement de nouveau d’ici 20 à 30 ans, lorsque la première génération de l’enfant unique, une politique qui a débuté à la fin des années 1970 et pris fin en 2015, atteindra ses dernières années.
« Il est concevable que lorsque la génération des parents des enfants uniques ne sera plus avec nous, la population chinoise diminuera de façon significative. Si le taux de natalité n’est pas soutenu, une décroissance de la population est inévitable. »
Perte d’avantages économiques
Si le gouvernement chinois n’agit pas, une diminution du bassin de main-d’oeuvre mènera à une hausse des salaires, qui était l’un des avantages économiques du pays.
La population chinoise a dépassé le milliard d’individus en 1981, lorsque 80 % des Chinois vivaient encore dans les campagnes, et qu’une personne sur quatre était illetrée.
Au cours des 30 dernières années, la Chine a emprunté la trajectoire de certains pays développés, dans le sens où l’industrialisation et l’urbanisation a mené à une hausse de la prospérité et à une augmentation du nombre d’habitants, rappelle Thomas Vicino, professeur de science politique, de politiques publiques et d’affaires urbaines à Northeastern.
Les démarches de Pékin pour accroître ses capacités manufacturières et ses exportations de biens en utilisant de la main-d’oeuvre et des matériaux bon marché, ainsi que des coûts réduits en matière de transport, au cours du 20e siècle, a entraîné une croissance économique marquée, ajoute M. Vicino.
À son tour, cela a favorisé le développement des villes, puisqu’il était plus abordable de rassembler les capacités industrielles, les chaînes d’approvisionnement et les travailleurs à un seul endroit.
Cependant, la politique de l’enfant unique continue d’avoir un impact sur la société chinoise.
« Il existe un grand déséquilibre de genre au sein de la démographie chinoise », souligne M. Vicino.
On compterait ainsi plus de 30 millions d’hommes « en surplus » par rapport au nombre de femmes en Chine, puisque bien des familles, particulièrement dans les régions rurales, ont préféré avoir un garçon lorsque la politique de l’enfant unique était en vigueur, explique Mme Shi.
Après plus de 35 ans d’application de cette politique, indique la chercheuse, les gens se sont habitués à avoir seulement un enfant par famille. De plus, des retards en vue de l’annulation de cette politique ont poussé les citoyens à chercher d’autres opportunités, affirme M. Vicino.
« Les gens veulent faire progresser leur carrière, acquérir plus de richesses. »
Avec le développement économique, le niveau d’éducation des Chinois a largement augmenté. Les femmes très éduquées sont maintenant davantage portées à réaliser leurs propres ambitions, souligne Mme Shi, et à se concentrer sur leur propre développement. Le fait d’avoir des enfants et de se marier font maintenant partie des actes planifiés de façon plus délibérée.
La hausse du coût de la vie, les augmentations des frais de scolarités et la croissance des prix de l’immobilier poussent aussi les Chinois à hésiter avant de se marier ou d’avoir des enfants, mentionne Mme Shi.
Choisir entre la concurrence ou le filet social
La Chine doit conserver son bassin de travailleurs si le pays veut demeurer le centre manufacturier de la planète. Une hausse des salaires entraînerait une augmentation des prix de production, ce qui mènerait à une baisse de l’offre autant sur le marché local qu’à des fins d’exportations, souligne-t-on.
Une diminution de la population entraînera aussi une baisse du nombre de consommateurs, ce qui, à son tour, mènera à un déclin de la demande.
« Une baisse de l’offre additionnée à une baisse de la demande mènera inévitablement à une réduction du produit intérieur brut », a ajouté Mme Shi.
Le gouvernement fera alors face à un surplus d’offre immobilière, ainsi que d’installations publiques et d’infrastructures sociales, comme les trains à grande vitesse, les écoles et les aéroports, dit la chercheuse. L’État devra alors dépenser bien plus pour ses programmes sociaux, y compris les pensions et les soins de santé pour les retraités, alors que le nombre de contribuables ira en diminuant. Les dépenses élevés et la baisse des revenus fiscaux pourrait mener à un déficit à Pékin.
Voilà pourquoi, explique la spécialiste, le gouvernement chinois doit mettre au moins des stratégies pour s’attaquer à ces problèmes de façon proactive, dit Mme Shi, en incitant les familles à faire plus d’enfants à l’aide de subventions, de crédits fiscaux, de logements plus abordables et de frais scolaires moins élevés, ou encore en repoussant l’âge de la retraite des travailleurs.
Mais, soutient M. Vicino, des politiques favorables à la fertilité ont déjà été tentées dans des pays comme le Japon et la Corée du Sud, où elles n’ont pas réussi à faire remonter le taux de fertilité.
Selon le chercheur, la population aura besoin d’un appui gouvernemental à long terme. Pékin doit ainsi investir dans le filet social de sa population pour soutenir un nouveau niveau de vie, investir dans l’éducation, favoriser l’accès au transport, en plus de s’assurer du bien-être des enfants.
« Tous ces biens et services fondamentaux qui sont offerts par le marché et le gouvernement, lorsqu’ils fonctionnent et fonctionnent correctement, il devient alors plus logique de se dire « d’accord, je vais me marier et je vais fonder une famille » », ajoute-t-il.
Les pays occidentaux ont pu contrer le vieillissement de leur population en remplaçant les emplois industriels avec des services et de nouvelles technologies qui nécessitent moins de travailleurs, et en acceptant de nouveaux arrivants.
En Chine, faire appel à une vaste main-d’oeuvre immigrante n’a pas été nécessaire, et le pays est largement demeuré fermé sur lui-même, croit M. Vicino, surtout comparativement aux grands pays occidentaux qui accueillent et intègrent ces immigrants depuis des années. La politique migratoire chinoise est ainsi plus favorable aux travailleurs étrangers hautement spécialisés qu’aux immigrants moins qualifiés.
Aux yeux de Mme Shi, si le bassin de main-d’oeuvre atteint un niveau trop bas, le gouvernement chinois serait prêt à importer de la main-d’oeuvre à bas prix en provenance d’autres pays pour réduire les coûts de production et maintenir son avantage concurrentiel en matière de production manufacturière.