L’époque des grands bonds en avant en science serait-elle derrière nous? C’est la suggestion intrigante que font trois chercheurs qui ont plongé dans 60 années de brevets, d’articles scientifiques, et des interrelations entre eux.
Ainsi, pour ces auteurs, la recherche serait devenue, pendant cette période, « de moins en moins susceptible » de faire des découvertes capables de « rompre avec le passé ». Selon eux, cette « tendance » s’observe dans toutes les disciplines, incluant les sciences sociales : pour utiliser une métaphore connue, les chercheurs d’aujourd’hui se tiendraient sur les épaules des géants du passé.
Leur travail, paru le 4 janvier dans la revue Nature, porte sur six décennies (de 1945 à 2010) représentant 45 millions d’articles scientifiques et 3,9 millions de brevets.
Ce n’est pas une question de « qualité » de la recherche, insistent ces trois chercheurs des universités du Minnesota et de l’Arizona : le déclin de découvertes « disruptives » est tout aussi visible dans la portion des recherches les plus citées ou publiées dans les revues les plus prestigieuses.
Ils sont loin d’être les premiers à jongler avec cette idée de la « stagnation », mais ils seraient les premiers à avoir tenté l’exercice dans toutes les disciplines à la fois. Au fil des années, les hypothèses n’avaient pas manqué: la plus populaire est que, dans l’histoire des sciences, les découvertes « faciles à faire » auraient été faites en premier, et les questions que nous posons aujourd’hui nécessiteraient beaucoup plus d’efforts (une hypothèse dont les trois auteurs disent qu’elle ne colle pas avec leurs résultats).
D’autres chercheurs ont également suggéré que la quantité de connaissances nécessaire à un scientifique —ou à un inventeur— pour atteindre les « frontières » de son domaine serait désormais plus abondante qu’avant, rendant plus difficile d’investiguer « au-delà » de ces frontières.
Reste que l’idée d’un déclin, si elle se vérifiait, pose des questions plus profondes: s’agit-il d’un déclin irréversible, ou sommes-nous juste dans un creux de la vague? La sur-spécialisation est-elle un facteur qui nuit à la « disruption »? La façon dont les fonds sont distribués est-elle un frein? Ou le déluge informationnel, sachant que la communauté scientifique, elle aussi, produit beaucoup plus que ce que quiconque peut suivre dans sa propre discipline? Enfin, d’un point de vue strictement économique —une réflexion que cette publication a entraînée ici et là— cela signifie que les investissements dans la recherche et le développement rapportent moins de « bénéfices ».
Les auteurs suggèrent eux-mêmes que leur tableau manque peut-être de nuances : un de leurs constats est que, bien que toutes les courbes générales tendent vers le bas, il y a un aussi grand nombre d’articles « disruptifs » qu’avant. De quoi inspirer de futures recherches sur ce qui distingue ces articles des autres…