La question de l’immigration, au Québec (et ailleurs au pays), occupe l’avant-scène de l’actualité et de la sphère politique depuis de nombreuses années. Mais au-delà des débats sur la « capacité d’accueil », notre société retient aussi les services d’un très grand nombre de travailleurs étrangers temporaires, bien souvent forcés de trimer dans des conditions que nous trouverions inacceptables. Le documentaire Essentiels cherche à leur donner une voix.
Réalisé par Ky Vy Le Duc et porté par Sonia Djelidi et Sarah Champagne, ce documentaire remet de l’avant, peut-être de façon plus directe, ou plus concentrée, si l’on veut, des situations parfois déjà ébruitées dans les médias : des travailleurs forcés de s’entasser à quatre dans une petite chambre, des permis de travail qui interdisent de changer d’employeur si les conditions sont mauvaises, des cas de journées excessivement longues et ardues…
Et quand les choses se passent relativement bien, c’est l’intégration au sein de la société québécoise qui pose problème. On exige ainsi, entre autres, un niveau de connaissance du français qui dépasse bien souvent celle de ces personnes venues travailler très dur chez nous; après tout, quand ces gens auraient-ils le temps d’étudier, alors qu’ils doivent aller cueillir nos fruits et légumes, s’occuper de nos personnes âgées, nettoyer nos CHSLD et nos hôpitaux?
« Nous voulions reprendre la structure narrative liée à l’immigration et aux travailleurs étrangers temporaires », explique Mme Djelidi, lorsqu’on lui demande pourquoi elle a choisi, en compagnie de sa collègue, de produire un film sur cet épineux dossier.
« Il y a souvent des aspects qui sont laissés dans l’ombre, alors que l’on joue la carte sensationnaliste, en disant que les immigrants sont une menace ou un problème. L’un des enjeux consiste aussi à mieux définir ce qu’est l’immigration, et qui sont les immigrants, au Québec, en ce moment. On voulait s’assurer que l’on parle d’eau de la bonne manière et ouvrir le débat, mais en posant les termes du débat tels qu’ils sont, et non pas de la façon dont ils sont imaginés par les chroniqueurs, les politiciens et d’autres. »
De son côté, Sarah Champagne revient sur la déclaration du ministre Jean Boulet, lors de la plus récente campagne électorale québécoise, dans le cadre de laquelle il avait notamment déclaré que « 80 % des immigrants s’installent à Montréal, ne travaillent pas, ne parlent pas français, et ne respectent pas les valeurs québécoises ».
Cette sortie lors d’un débat électoral régional, qui lui avait d’ailleurs coûté son poste de ministre lors de la formation du nouveau cabinet Legault, se retrouve dans le documentaire et, de l’avis de Mme Champagne, est symptomatique de l’attitude du gouvernement de la Coalition avenir Québec.
« Quand on se pense sur le sujet, on se rend compte qu’il s’agit d’un discours très organisé et que finalement, nous n’avons peut-être pas, comme journalistes, les outils pour remettre tout cela en doute. Nous l’avons déjà mentionné, c’est un peu l’immigration fantasmée dont on entend parler. Pas dans le sens positif, mais plutôt dans le sens de ce qui n’est pas la réalité », dit-elle en entrevue avec Pieuvre.ca.
« Je crois que ce que nous voulions, c’était de faire bouger l’aiguille du débat… Que le débat soit plus complet; nous sommes venus poser un morceau supplémentaire. »
À la question des travailleurs temporaires venus s’échiner dans les champs s’ajoute celle des demandeurs d’asile passés par le chemin Roxham, un dossier qui alimente non seulement la grogne chez certains partis politiques, au Québec, mais aussi entre le provincial et le fédéral. Si cet aspect est moins abordé dans le documentaire, on prend bien soin de nous rappeler que bon nombre de ces migrants entrés de façon irrégulière au Québec, et qui sont en attente d’une régularisation de leur statut, se sont parfois retrouvés à occuper des postes particulièrement dangereux pendant la pandémie de COVID-19. Impossible d’oublier, entre autres, l’histoire de cet homme, demandeur d’asile, qui a trouvé de petits boulots comme préposé aux bénéficiaires, avant de contracter la maladie et d’en mourir.
Le gouvernement Legault aura beau avoir encensé les travailleurs essentiels, en qualifiant une bonne partie d’entre eux « d’anges gardiens », le documentaire démontre que bien souvent, ces employés extrêmement utiles poireautent pendant des années dans l’attente d’une carte de résidence permanente. Avec, comme épée de Damoclès au-dessus de leur tête, le risque d’être expulsé.
Est-il nécessaire de « le voir pour le croire », et ainsi faire bouger les choses? Plutôt que de juger que leur documentaire est la goutte d’eau qui fera déborder le vase, les deux femmes espèrent surtout qu’il contribuera à alimenter le débat de société entourant les conditions de travail et la reconnaissance offerte à ces gens venus d’ailleurs pour, trop souvent, accomplir les tâches que nous jugeons indignes.
Quelle est la vraie valeur de notre société, si nous forçons ces nouveaux venus à travailler dans des conditions particulièrement difficiles, sans offrir de véritable méthode pour obtenir une vie meilleure? Nos fruits et nos légumes peu chers valent-ils cette exploitation de la main-d’oeuvre étrangère?
Essentiels sera diffusé le mercredi 25 janvier à 20h, sur les ondes de Télé-Québec.
Un commentaire
J’ai regardé avec grand plaisir, et un peu honteux, l’excellent documentaire Essentiels. J’aimerais le faire connaître à mes ami.e.s.
Où et quand peuvent-ils/elles le voir ?
Merci.