Il y a certainement une réflexion publique à avoir sur notre capacité à décrier (ou récupérer) une nouvelle, une théorie ou tout autre événement contemporain, tout en s’abstenant de réfléchir pendant plus de quelques instants et en oubliant généralement le contexte. L’auteur et dramaturge Jean-Philippe Baril Guérard s’intéresse à ce phénomène avec Vous êtes animal, une pièce jouée sur les planches du Quat’Sous qui laisse malheureusement sur sa faim.
Imaginons, un instant, que Charles Darwin publie son révolutionnaire traité de science sur l’évolution des espèces non pas au 19e siècle, mais de nos jours : le chercheur, influencé (ou non) par la récente mort de sa fille, lance ainsi un pavé dans la mare d’une société qui adhérait jusqu’alors à une doctrine scientifique que l’on sait dépassée, mais qui ne l’est toujours pas dans cette réalité alternative.
S’ensuit alors un tollé généralisé, les uns dénonçant le caractère « raciste » de l’oeuvre, les autres s’en servant pour justifier leur vision extrémiste et suprémaciste du monde. Et à travers tout cela, le chercheur, joué ici par un jeune homme noir, va perdre son emploi sous la vindicte populaire, sera visé par des menaces de mort et verra son mariage éclater.
Tout cela pourrait s’avérer fort intéressant, et susciter un réel échange, au sein de la société : est-ce que tout ne va pas trop vite, de nos jours? Prend-on le temps de bien lire, de s’informer, à l’ère de la colère en 280 caractères et des vidéos tournées dans son auto?
Malheureusement, Jean-Philippe Baril Guérard, qui signe le texte et joue son propre rôle, sous la forme d’un autre de ces documentaires théâtraux à la J’aime Hydro ou Run de lait – l’illusion est complète avec une mention de la diffusion en ligne –, ne va jamais au-delà de la simple parodie. Oui, les situations dépeintes sont absurdes; oui, on rigole un peu du star system culturel québécois, avec une imitation très réussie des entrevues de Marie-Louise Arsenault à la défunte émission Plus on lit, mais au-delà de ça, on ne propose rien. Pas de pistes de réflexion, pas de pas de recul, que des exagérations ou des situations poussées à l’extrême, comme ce fou de Dieu qui utilisera L’origine des espèces pour tirer dans le tas, ou cette association étudiante qui fera pression pour faire perdre son poste de chargé de cours à Darwin, même si, clairement, personne n’a lu le livre…
Peut-être est-ce le fait que ce journaliste, comme bien d’autres gens, baigne dans cet environnement exagéré pratiquement du lever au coucher du sommeil. Ce mélange parfois bien toxique de politiciens faussement fâchés, de conspirationnistes, de bien-pensants et autres personnes désireuses d’avoir leurs 15 secondes de gloire.
Quoi qu’il en soit, le concept unidimensionnel de Vous êtes animal aurait pu être clos en une trentaine de minutes. Au lieu de cela, on étire le « plaisir » pendant 1h40, toujours avec ce vernis de « documentaire théâtral » qui a fait son temps. On ressort du Quat’Sous en se disant franchement que l’occasion a été manquée, ici. Et c’est vraiment dommage.
Vous êtes animal, de Jean-Philippe Baril Guérard
Mise en scène : Patrice Dubois
Avec : Jean-Philippe Baril Guérard, Isabeau Blanche, Lyndz Dantiste, Laurence Dauphinais, Harry Standjofski, Phara Thibault
Au Théâtre de Quat’Sous jusqu’au 11 février