Racontant le récit initiatique de Philoklès, un jeune pêcheur grec rêvant de gloire et d’aventure qui sera confronté à la dure réalité, la bande dessinée Kleos de Mark Eacersall, Serge Latapy et Amélie Causse, propose une version réaliste des grandes épopées d’Homère.
En 499 avant Jésus-Christ, à l’aube de ce que les historiens appelleront l’époque classique, les Grecs vivent dans de petites communautés souvent rivales, mais ils partagent tout de même un mode de vie, des Dieux, une langue, et surtout, des récits fondateurs, comme ceux d’Homère. Baigné par L’Iliade et L’Odyssée, dont il connaît chaque vers par cœur, Philoklès, le fils d’un humble pêcheur, rêve d’accomplir des exploits héroïques et de se couvrir de gloire. Pourtant, quand son île d’Amorgos est attaquée par des pirates, il se réfugie avec les autres citoyens derrière les murs de l’Acropole pendant que les barbares pillent leurs biens.
Suite à cet incident, Philoklès harangue les soldats avec véhémence et monte la foule contre eux, les accusant de vivre du labeur de la population sans être capables de leur assurer une protection adéquate en retour. Le jeune homme souhaite trouver la tanière de ces bâtards et brûler leur trière afin de stopper, une fois pour toutes, leurs assauts, et plutôt que de devoir composer avec une émeute, le chef de l’armée acquiesce au désir du jeune homme, et lui donne une armure, des armes et quelques vivres pour qu’il se rende jusqu’au repère des pirates, en espérant secrètement que cet emmerdeur ne survive pas au périple.
La bande dessinée glorifie souvent les conflits armés et les actes de bravoure des héros, mais ce n’est pas le cas de Kleos. À l’image des romans de chevalerie pour Don Quichotte, les aventures épiques d’Ulysse sont montées à la tête du jeune Philoklès, mais ce dernier constatera rapidement qu’il y a une énorme différence entre les contes et le monde réel. Vêtu d’une armure trop grande et n’ayant même pas assez de force pour projeter sa lance, le jeune gringalet sera confronté à la réalité, et ce n’est pas l’honneur de la guerre qu’il découvrira sur son chemin, mais plutôt ses horreurs, avec ses maisons incendiées et ses cadavres jonchant les rues.
Scénarisé par Mark Eacersall (dont la récente bande dessinée Tannarive a été saluée autant par la critique que les lecteurs) en collaboration avec son ami Serge Latapy, un passionné de la Grèce antique, Kleos propose une sorte de reflet réaliste à L’Iliade d’Homère, dont plusieurs extraits sont d’ailleurs insérés à travers l’album. Bien que l’intrigue prenne place dans l’antiquité, ce récit initiatique aborde des thèmes intemporels, notamment l’indignation devant l’injustice, les rêves de gloire et de grandeur, la frustration devant l’inaction des ainés, la perte des illusions de jeunesse, ou l’importance de la fiction et des conteurs pour unir les membres d’une même société.
Avec son trait de crayon fluide et ses images lumineuses et expressives, Amélie Causse transmet bien l’atmosphère méditerranéenne dans laquelle baigne le récit, et ses illustrations redonnent vie à la Grèce antique. Teintées d’une touche de nudité et de sensualité, elle approche avec beaucoup de pudeur les scènes de viol ou de meurtre fréquents à cette époque, et s’inspire manifestement des vieilles peintures et des bas-reliefs pour croquer ses soldats grecs. Que la mer soit paisible et turquoise ou qu’elle balaye le bateau du pauvre Philoklès comme une brindille au vent, ses paysages marins sont à couper le souffle. Elle affectionne les lignes ondulées et les spirales, dont elle insère le motif un peu partout, dans les nuages, dans les boucles des cheveux du héros, sur la poitrine des cuirasses, ou dans la fumée s’échappant des incendies.
Bien qu’il marche sur les traces d’Ulysse, Philoklès n’est pas un héros dans le sens classique du terme, et c’est justement ce qui rend Kleos si unique. Si vous avez envie de voyager dans une version historiquement réaliste de la Grèce antique, cette bande dessinée est définitivement pour vous.
Kleos – Livre 1 : Celui qui rêvait de gloire, de Mark Eacersall, Serge Latapy et Amélie Causse. Publié aux éditions Grand angle, 64 pages.