Les craintes entourant les ondes électromagnétiques sont nombreuses et parfois surprenantes. L’une d’entre elles : une augmentation des troubles du spectre de l’autisme. Le Détecteur de rumeurs s’est demandé d’où venait cette inquiétude.
Les troubles du spectre de l’autisme (TSA) ont considérablement augmenté au cours des dernières décennies dans les sociétés occidentales. Au Québec, environ 0,8 enfant de 1 à 17 ans sur 1000 avait un diagnostic d’autisme en 2000-2001, comparativement à 17 sur 1000 en 2019, selon Santé Canada.
Cette augmentation vient en bonne partie des changements à la définition elle-même de ce qu’est le spectre de l’autisme: l’évolution de cette définition depuis les années 1990 s’appuie sur une meilleure compréhension de ces troubles. Pour cette raison, de nombreux cas, dans le passé, ont pu passer sous le radar, étant qualifiés de « déficience intellectuelle ».
Mais le fait de mieux les diagnostiquer n’empêche pas que les causes des TSA restent mal comprises. Parmi les facteurs de risque suspectés: certaines mutations génétiques, des déséquilibres métaboliques, une exposition aux métaux lourds et aux toxines environnementales. Les champs électromagnétiques pourraient-ils être ajoutés à la liste?
Des effets thermiques, surtout
Parmi les milliers d’études menées depuis 30 ans sur des cellules, des animaux ou des humains, le seul impact des ondes radio et des champs électromagnétiques qui a pu être quantifié est un possible réchauffement des tissus. En 2021, une étude franco-italienne a par exemple conclu que les gens ressentent davantage le réchauffement des tissus de la peau en vieillissant, et lorsque les champs électromagnétiques sont élevés. Or, les personnes âgées ont tendance à avoir une peau plus mince et un flux sanguin réduit.
Compte tenu des normes actuelles concernant les champs électromagnétiques, l’échauffement des tissus est trop faible pour endommager les cellules. Cependant, une revue des recherches, publiée en 2019, évoque la possibilité d’effets biologiques qui ne seraient pas liés au réchauffement ses tissus. Selon les auteurs, environ 70 % des études utilisant des fréquences de 6 à 100 GHz — le Wi-Fi utilise des fréquences entre 2 et 5 GHz tandis que la technologie 5G varie entre 0,5 et 30 GHz — auraient détecté de tels effets « non thermiques » sur des organismes vivants, peu importe la densité de la puissance (58 % de celles menées sur des animaux).
Les deux auteurs notent toutefois que la majorité de ces études ne respectent pas les standards de qualité nécessaires pour en tirer des conclusions satisfaisantes. Ce qui signifie que des recherches supplémentaires seront nécessaires pour déterminer si et comment la 5G peut affecter les tissus humains.
Des effets cognitifs?
Une de ces études, publiée en 2017, avait voulu examiner si l’utilisation intensive d’un téléphone portable pouvait affecter les fonctions cognitives. Les chercheurs ont séparé une soixantaine d’étudiantes de 18 à 25 ans en deux groupes, suivant ce qu’elles rapportaient du temps d’utilisation de leur téléphone: 30 minutes ou moins par jour depuis cinq ans, ou 90 minutes et plus par jour. Ils ont conclu que le deuxième groupe était associé à de plus grandes difficultés d’attention. Cette étude a toutefois plusieurs limites: le petit nombre de personnes observées, le fait qu’elle repose sur l’estimation du temps d’utilisation par les étudiantes elles-mêmes, et que plusieurs effets indirects liés à l’utilisation d’un téléphone portable peuvent être en cause, sans que les champs électromagnétiques ne soient responsables des changements notés.
Les conclusions d’une autre revue de la littérature scientfique publiée en 2018 vont pour leur part dans l’autre sens. Après avoir examiné 43 études portant sur l’exposition aux champs électromagnétiques et les fonctions cognitives, les auteurs concluent qu’il n’y a pas de lien solide.
Et l’autisme?
Dans ces conditions, il est difficile de trouver des données probantes qui feraient un lien avec l’autisme. Une recherche sur Internet fait ressortir de nombreux articles et études prétendant établir un lien avec l’exposition aux rayonnements électromagnétiques. Le problème est que plusieurs de ces publications émanent de groupes ou de chercheurs prônant une diminution de l’exposition aux ondes, ce qui jette une ombre sur leurs écrits.
Ces publications écartées, il reste tout de même quelques études ayant exploré l’impact des ondes sur le développement de l’autisme.
En 2004, l’une d’elles suggérait que les expositions fœtales ou néonatales aux rayonnements pourraient être associées à une incidence accrue de l’autisme. L’hypothèse fut à nouveau analysée en 2009, dans une étude effectuée dans le contexte de l’augmentation des diagnostics d’autisme, mais les auteurs ne sont pas parvenus à étayer l’affirmation, en raison du nombre limité de données disponibles.
Parallèlement, pendant les années 2000, le poids des facteurs environnementaux dans le développement de l’autisme est remis en question. Dans une étude américaine publiée en 2011, les auteurs avancent que la génétique représenterait moins de la moitié du risque de troubles de l’autisme — et non 90 % comme on le suggérait auparavant.
Si les champs électromagnétiques jouent vraiment un rôle comme un de ces facteurs environnementaux, quel pourrait-il être? Ces champs auraient, prétend-on, la capacité de modifier l’épigénome, soit l’ensemble des modifications épigénétiques d’une cellule, lors du premier trimestre de la grossesse, ce qui pourrait conduire à l’autisme chez les nourrissons porteurs d’anomalies génétiques, spéculent trois chercheurs dans un article publié en 2013.
L’hypothèse fait du chemin et en 2014, des chercheurs du Bahreïn suggèrent une causalité entre l’exposition aux champs électromagnétiques à très basse fréquence et l’autisme… chez les souris. Or, s’il est déjà difficile de diagnostiquer l’autisme chez les humains, on peut imaginer que la façon de le diagnostiquer chez les souris fait encore débat.
C’est dans cet esprit qu’en 2017, un article publié dans Child Development qui avançait l’hypothèse d’un tel lien est rapidement dénoncé par des experts qui vont jusqu’à le qualifier de « pseudoscience ». Il est reproché aux auteurs d’extrapoler de manière inappropriée à partir de données sur des rongeurs, en plus de s’appuyer sur des données de mauvaise qualité. La revue publiera quelques mois plus tard un commentaire critique dénonçant l’article original.
Verdict
Les champs électromagnétiques à très basse fréquence peuvent avoir comme effet biologique d’augmenter la température de la peau, mais il n’existe aucune preuve qu’ils peuvent favoriser des troubles cognitifs, encore moins le développement des troubles de l’autisme.