En Iran, les images des manifestations ayant suivi la mort de la jeune Mahsa Zhina Amini, le 16 septembre dernier, probablement tuée en raison d’une « infraction » au code vestimentaire rigoriste imposé aux femmes iraniennes, ont largement circulé sur les médias sociaux, malgré la tentative du gouvernement de contrôler la circulation de l’information.
Selon Whitney Shylee May, candidate au doctorat en études américaines à l’Université du Texas à Austin, l’une des solutions utilisées par les contestataires consiste à se tourner vers TikTok, l’application de partage de vidéos mieux connue pour ses jeunes utilisateurs partageant des vidéos de danse et de chanson.
Comme le mentionne Mme Shylee May, la façon dont les vidéos sont partagées sur cette plateforme et « l’utilisation judicieuse » de certaines appellations par les militants ont aidé les contestataires à contourner les blocages numériques mis en place par les vastes services de sécurité iraniens et atteindre un grand public.
Tout cela fait dire à la chercheuse, qui s’intéresse aux jeunes et à la culture participative, soit de l’art et de l’information produits par des non spécialistes, y compris les fan fiction et le journalisme citoyen, que « TikTok s’avère être un outil efficace de militantisme politique, face à une répression importante ».
Au dire de la spécialiste, l’efficacité de cette méthode s’articule autour du mode de fonctionnement de la plateforme. Chaque vidéo TikTok dure généralement moins de 60 secondes, et recommence une fois arrivée à la fin. D’autres utilisateurs peuvent éditer ou « coller » la vidéo d’une autre personne dans la leur. Il est aussi possible de présenter un « duo », en projetant deux vidéo côte à côte.
Une méthode complexe
Pour utiliser TikTok en Iran, un protestataire utilise généralement un service de réseau virtuel privé qui fait passer le trafic internet via plusieurs serveurs, histoire de contourner les barrières étatiques, indique Mme Shylee May. Généralement, ce jeu de cache-cache fonctionne suffisamment longtemps pour publier au moins une vidéo. Une fois publiée, cette vidéo peut être alors partagée, éditée, intégrée dans un « duo », etc. Elle prend donc une vie propre sur la plateforme, loin des griffes de la République islamique.
Il est également particulièrement difficile d’identifier le nom de la personne à l’origine de la publication de la vidéo. En quelques minutes, le nouveau message se répand et son auteur devient rapidement anonyme; « même si la vidéo est signalée comme contrevenant aux règles de TikTok, la dissémination et la réutilisation sont si rapides que la compagnie elle-même est souvent incapable de faire disparaître entièrement le contenu « problématique »», mentionne la chercheuse.
Et parmi les autres méthodes, parfois très peu complexes, utilisées pour déjouer la surveillance iranienne, les utilisateurs vont notamment modifier la graphie du nom du pays, dans les mots-clés, pour échapper aux censeurs.
De l’avis de la spécialiste, ces démarches, et d’autres méthodes, ont permis de transformer TIkTok de l’application de danse pour adolescents à une puissante plateforme mondiale servant aux manifestants et aux activistes. Il n’est pas étonnant, d’ailleurs, que d’autres grands événements géopolitiques, comme la guerre en Ukraine, soient mis de l’avant sur cette plateforme, toujours sous forme de courts clips.
« Et si l’issue du mouvement de revendication des manifestants iraniens demeure incertaine, une chose semble claire : la révolution pourrait ne pas être télévisée, mais elle sera « aimée », « modifiée » et « partagée en duo » », soutient Mme Shyle Mee.