La solitude se retrouve au coeur de la filmographie du cinéaste Sam Mendes depuis ses débuts et en revenant à un film plus personnel avec Empire of Light, après son très ambitieux et réussi 1917, il continue d’en explorer le filon avec un doigté dont lui seul a le secret, et ce, tout en livrant un savoureux hommage au septième art.
Il faut admettre que plusieurs réticences primaient face à ce nouveau long-métrage. Pourtant, on connaît le savoir-faire de Sam Mendes. On sait qu’il arrive habilement à jouer avec les époques et les reconstitutions, on sait qu’il tire toujours le meilleur ou presque de ses interprètes et on sait que même si la romance n’est pas nécessairement le genre avec lequel on l’associe le plus, qu’il en est capable avec douceur, comme en faisait foi le mésestimé Away We Go.
Est-ce parce qu’il s’agit ici de son premier scénario complet et que la dernière fois où il avait participé à l’écriture, on y avait trouvé les principales failles?
Peut-être.
Probablement aussi parce qu’une romance inédite d’hier, dans un petit village sur fond d’hommage au cinéma, n’est peut-être pas le synopsis le plus original et motivant. C’est toutefois sous-estimer le cinéaste qui cache beaucoup plus de nuances qu’on s’y attendrait.
Ainsi, les nombreuses détresses et les isolements qu’on affiche ici sont loin d’être superficiels et on a eu la judicieuse idée de faire appel à la constamment splendide Olivia Colman pour prendre le rôle d’Hilary.
Celle-ci est aux prises avec une santé mentale fragile. Face à un personnage énigmatique qui dévoile ses couches peu à peu sans nécessairement livrer tous ses secrets, Colman fascine comme elle en a l’habitude. Et ses partenaires qui croisent sa route n’ont qu’à bien se tenir, ils ont beau avoir ce qu’il faut pour essayer de lui tenir tête, au final, c’est elle qui mène le bal.
D’ailleurs, le reste de cette discrète distribution est loin d’être anodine. Colin Firth fait beaucoup en peu de temps d’écran, surtout dans le niveau du détestable, alors que Toby Jones séduit sans mal, mais c’est certainement le peu connu Micheal Ward (déjà formidable dans l’inoubliable segment Lovers Rock de l’extraordinaire anthologie Small Axe de Steve McQueen) qu’on gardera en tête dans une riche composition de douleur, de tendresse et de naïveté qui doit faire face à beaucoup avec peu de ressources.
Certes, c’est possiblement là qu’on aura envie d’émettre nos déceptions devant un scénario qui essaie de toucher à probablement trop de sujets et de thématiques, sans parvenir à les développer avec la profondeur nécessaire.
Situé au début des années 80, le film doit faire face à une montée rugissante du racisme et bien que le parallèle entre la solitude des Noirs et celle des femmes reléguées à l’arrière-plan est facile à voir venir, il est certainement difficile d’arriver à développer les deux équitablement.
Cela dit, le film se reprend fièrement du côté de l’hommage au cinéma qui, là où certains en auraient profité pour plaquer les références par millier, fait véritablement office d’arrière-plan. Prenant place principalement dans un cinéma, l’hommage, subtile, met de la lumière à ces employés de l’ombre qui se retrouve d’une certaine manière au bas de la chaîne. Le portrait qu’il expose de ce petit microcosme d’employés est savamment convaincant aussi. Mieux, notre protagoniste n’écoute pas de films malgré son emploi, un choix scénaristique certainement surprenant vu les circonstances, ce qui mènera judicieusement à une scène d’une admirable beauté.
Et disons qu’il y en a également beaucoup, de la beauté. Dans la reconstitution, dans cette première collaboration avec les toujours surprenant Trent Reznor et Atticus Ross à la musique qui évitent d’évoquer le travail de Thomas Newman, le compositeur habituel du cinéaste, mais majoritairement dans ces images. Fidèle collaborateur à qui l’un de leurs films lui a valu son deuxième Oscar, Roger Deakins nous magnifie le regard plan après plan avec des images somptueuses, tel des tableaux, qui savent utiliser les cadrages, les éclairages et les personnages à son avantage.
Empire of Light est donc un film qui aimerait être beaucoup de choses. Sans être majeur, ni même mineur, il s’avère d’une beauté honnête et s’applique énormément en sachant fort probablement qu’il ne transcende pourtant rien. Loin derrière les volontés opportunistes du récit autobiographique dont se targuent habituellement ceux qui se lancent dans un projet du genre, Mendes en profite ici pour continuer d’explorer ses thématiques qui continuent de la hanter, pour notre plus grand bonheur. Il évoque aussi une conclusion qu’il est loin d’être banal de répéter, que parfois il s’agit seulement de s’intéresser pour mieux voir et au fil de ces deux délicates heures, on lui en sera reconnaissant.
7/10
Empire of Light prend l’affiche en salle ce vendredi 9 décembre.