Monstre iconique depuis bientôt trois quarts de siècle, Godzilla (ou Gojira en version originale, évidemment) terrifie les Japonais, mais aussi les Américains, sous la forme de dizaines de longs-métrages dont la qualité a largement fluctué. Ce qu’il importe, toutefois, c’est de comprendre pourquoi cette relation spéciale existe entre Tokyo et Washington, et pourquoi un monstre titanesque crachant du feu nucléaire est l’un des meilleurs représentants de ces liens parfois étranges entre les deux pays.
Publié aux Presse de l’Université de Montréal, Godzilla et l’Amérique, un essai écrit par Alain Vézina, se penche ainsi sur les significations profondes des films mettant en vedette le susmentionné reptile irradié.
Car s’il est relativement facile de comprendre qu’en 1954, lors de sa première apparition, Godzilla représentait bel et bien le péril nucléaire, mais aussi la menace américaine et étrangère, le tout neuf ans seulement après les bombardements atomiques de Hiroshima et de Nagasaki (et la fin de la Deuxième Guerre mondiale), au cours des années qui suivront, la place occupée par le monstre dans la société nippone, mais aussi de l’autre côté du Pacifique, évoluera un peu dans tous les sens, à mesure que le Japon et les États-Unis évolueront sur les plans diplomatique, culturel, social, économique, politique et militaire.
Armé d’un savoir historique considérable, et sans doute d’une connaissance quasi encyclopédique des films de Godzilla – plus spécifiquement ceux des années 1960 et 1970 –, Alain Vézina propose une lecture franchement différente de l’histoire et du septième art.
Qui aurait cru, en effet, que Godzilla en viendrait pratiquement à dicter la politique de non pas un, mais de deux pays? Bon, il s’agit peut-être d’une (certaine) exagération, mais force est d’admettre qu’avec les années, les oeuvres liées ont parfois cherché à influencer le fonctionnement politique du Japon. On peut notamment penser à ces messages destinés au public qui montrent les forces d’autodéfense japonaises, une création controversée dans la foulée de la nouvelle constitution japonaise, post-Deuxième Guerre mondiale, qui interdit à Tokyo de posséder une armée et d’intervenir de façon offensive dans un conflit sur la scène internationale.
Et pourtant, controverse ou non, plusieurs films liés de près ou de loin à Godzilla ont mis de l’avant cette armée qui n’en a pas le nom, en présentant des soldats professionnels, efficaces et travaillant de concert pour protéger la nation japonaise. Ne dit-on pas, après tout, que la culture d’un pays fait partie de son soft power?
Bien écrit, franchement intéressant et diablement efficace, Godzilla et l’Amérique – Le choc des titans est un incontournable pour les amateurs de politique et de relations internationales, certes, mais aussi pour ceux qui se passionnent pour le septième art. Il s’agit aussi d’une excellente occasion de se rappeler que la culture n’est que très rarement produite dans un vide étanche, et que pour se représenter à l’étranger, rien ne vaut un bon film, surtout quand celui-ci met en vedette l’indétrônable roi des monstres.