Le couple est au cœur des œuvres de Noah Baumbach et quiconque aurait pu croire qu’il en serait autrement pour son film le plus ambitieux en carrière, pastichant allègrement en toute dérive les films catastrophes à grand déploiement, connaît bien mal le cinéaste. Bien qu’inégal, ce White Noise, adaptation d’un roman qu’on a longtemps catégorisé d’impossible à transmettre à l’écran, force régulièrement l’admiration.
Le roman de Don DeLillo se moque déjà allègrement du concept de fin du monde dans une comédie noire grinçante qui passe toute la société au tordeur. En restant près de sa source, Noah Baumbach s’approprie néanmoins amplement l’histoire pour en faire quelque chose qui se moule divinement à ses propres angoisses et préoccupations.
On y suit une famille américaine a priori typique, mais nourrie de ses propres dysfonctions, qui devient témoin des conséquences d’un incident qui créera un enchaînement de situations menant à un véritable scénario catastrophe et mettant sensiblement toute la famille à risque.
Celle-ci était d’ailleurs déjà fragilisée par des circonstances qui ne tarderont pas à faire surface, à mesure que les enjeux se complexifieront.
Il est certain que la proposition risque de ne pas plaire à tout le monde. Elle va tellement dans tous les sens et multiplient significativement les tons qu’il peut paraître simple de se perdre. Pourtant, tout en s’avérant distincte dans sa filmographie, voilà une œuvre qui rassemble toutes les thématiques chères au cinéaste, lui qui a assuré en entièreté le scénario tiré du livre du même nom. On conseille d’ailleurs de garder en tête une référence qui semble plutôt évidente au Fantastic Mr. Fox de son ami Wes Anderson, dont il avait également collaboré au scénario adapté d’une source littéraire.
Il ne faudrait donc pas penser que de voir plus grand, de s’attaquer à plus gros et de donner l’impression d’aller ailleurs soit une réinvention totale du créateur. Au contraire, bien qu’avec une étonnante surprise Baumbach se montre des plus aisé pour mettre en scène d’impressionnantes scènes d’action à grand déploiement d’ailleurs chorégraphié au quart de tour (le chorégraphe David Neumann a agi à titre de consultant pour les mouvements), il ne manque pourtant pas d’y ajouter ses névroses habituels. Puisque si l’on pense allègrement aux films catastrophes d’autrefois ou même au War of the Worlds de Spielberg parmi tant d’autres, il s’agit au final bel et bien de la version intellectuelle d’une telle mise en contexte alors que les mots et les questionnements finissent toujours par l’emporter sur l’action. Ses personnages sont instruits, Adam Driver interprète un professeur d’université émérite bien entouré de ses collègues tout aussi brillants, et aussi cultivés que curieux.
Pour témoigner de cette conscience autoréflexive constamment en marche, mentionnons parmi les nombreux moments mémorables ce passage ou un à un ou presque, les membres de la famille se mettent à se demander s’ils réagissent correctement à la situation, surtout en se comparant aux autres familles. La question des apparences a toujours été précieuse aux yeux du cinéaste et ils continuent de la développer avec bonheur.
C’est peut-être aussi ce souci du paraître qui l’a poussé à renouveler son équipe (le réputé directeur photo Michael Seresin a été viré en cours de route pour laisser la place au brillant Lol Crawley qui vient y exposer une fascinante palette colorée), où on y trouve l’excellent monteur Matthew Hannam et les compositions grandiloquentes de nul autre que Danny Elfman.
Avec cette équipe, il arrive sans mal à faire des petits miracles, surtout face à une reconstitution d’époque à décrocher la mâchoire tellement elle est soignée, si ce n’est exceptionnelle. Le film se déroule dans les années 80, époque dont le livre est issu, et il est difficile de ne pas admettre que l’imposant budget de près de 100 millions a été savamment dépensé, quand on voit la splendeur technique et visuelle du long-métrage.
Une autre manière d’en mettre plein la vue? La distribution. On n’attendait rien de moins de l’excellence de Adam Driver et Greta Gerwig, mais leurs interprétations et leur chimie sont encore plus hallucinantes que dans nos rêves les plus fous et tous ceux les entourant habitent avec merveille ce fascinant univers pour ne nommer que Don Cheadle, Raffey Cassidy, Jodie Turner-Smith et Andre Benjamin. On notera la présence des enfants d’Alessandro Nivola et Emily Mortimer, dont le fils Sam évoque de façon troublante la performance de Jesse Eisenberg dans l’extraordinaire The Squid and the Whale, film qui avait propulsé la carrière de Baumbach il y a plus de quinze ans déjà.
Il faut également parler d’à quel point le film est drôle voire hilarant. Si l’on était déjà familier avec l’humour du cinéaste, que ce soit dans des répliques, des échanges ou dans des scènes complètes, surtout lorsqu’on pense par exemple à Mistress America ou While We’re Young, on sera aussi ravi que surpris de rire autant surtout face au génie d’un grand nombre de séquences qui resteront définitivement en tête.
Enfin, étonnamment actuel et troublant à ses heures, face à une dérive toujours aussi imprévisible, il pourrait être aisé de trouver que le rythme s’effrite un peu dans son dernier acte (là où le sérieux l’emporte davantage en creusant plus sérieusement les difficultés directes du couple principal) surtout face à la durée de plus de deux heures, mais ce serait dommage de mettre autant de tort sur le dos d’un film qui ose autant avec une audace, un savoir-faire et des ambitieux qu’on aimerait certainement voir plus souvent.
Et sans vouloir gâcher la surprise, une nouvelle chanson inattendue de LCD Soundsystem en prime, disons qu’à elles seules, les dernières minutes du long-métrage sont ahurissantes et valent décidément en entièreté la raison d’écouter le film, alors que Baumbach a su trouver la meilleure façon de rendre impossible le désir de ne pas écouter le générique jusqu’à la fin. Voilà un hymne à la vie et par le fait même au cinéma, qu’on aura certainement vite envie de redécouvrir, juste pour le plaisir.
7/10
White Noise débarque sur la plateforme Netflix le 30 décembre prochain. Il sortira en salle au Québec au Cinéma Moderne et à la Cinémathèque Québécoise dès le 2 décembre prochain.