Il va sans dire que les Québécois – et les Canadiens en général – sont de grands buveurs de lait, mais aussi de grands consommateurs de produits laitiers en tous genres. Sait-on, cependant, comment fonctionne cette industrie engrangeant des revenus de plusieurs dizaines de milliards, annuellement? Avec Run de lait, Justin Laramée propose un plongeon dans ce monde trouble où les éleveurs paient souvent le prix ultime.
Depuis 20 ans, le Québec a perdu la moitié de ses fermes laitières. À l’instar du reste de l’industrie agricole, ce secteur est aux prises avec une consolidation accélérée. Mais ce qu’il faut savoir, c’est qu’avec cette question de production laitière vient aussi le plus que délicat dossier de la gestion de l’offre, avec ses règles parfois aussi complexes qu’obscures. Sans oublier la menace des produits américains, largement subventionnés, et qui ont tendance à franchir une frontière plus que poreuse…
Tout cela, Justin Laramée l’aborde dans un spectacle fleuve de deux heures, qui rassemble quantité de témoignages d’experts, de spécialistes, mais aussi d’agriculteurs et d’éleveurs. Et ces témoignages sont parfois particulièrement troublants, comme cette histoire d’un père de famille qui s’est enlevé la vie après s’être retrouvé pris à la gorge, incapable de payer ses dettes, et enseveli sous un travail éreintant et sans fin.
Bien sûr, il pourrait être intéressant d’établir un parallèle avec J’aime Hydro, l’oeuvre théâtralo-documentaire de Christine Beaulieu, et si M. Laramée se permet justement quelques gags à ce sujet, Run de lait est un peu plus intime, un peu plus personnel, en un sens. Peut-être parce que la pièce est cette fois donnée à La Licorne, plutôt qu’à la Place des Arts… Ou peut-être parce que l’on s’en tient à des extraits audio, ou à des acétates, plutôt qu’à des séquences vidéo.
Quoi qu’il en soit, Run de lait est un documentaire théâtral époustouflant et étourdissant qui jette un éclairage à la fois cru et humoristique sur un secteur de notre économie qui demeure méconnu. Bien sûr, les passionnés de politique auront entendu parler de la gestion de l’offre, ne serait-ce qu’en entendant Maxime Bernier aborder cette question. Mais à voir à quel point cette question d’élevage des vaches à des fins de production laitière est à ce point liée à l’histoire du Québec, à l’occupation du territoire, à la vitalité économique, à la production de la viande, à la globalisation de l’industrie alimentaire et aux négociations commerciales et politiques dans le contexte du libre-échange non seulement avec l’Amérique du Nord, mais aussi avec l’Europe, on peut se demander comment il est possible d’en ignorer le fonctionnement et les enjeux.
Seule ombre au tableau, l’équilibrage des sons gagnerait à être revu; il est arrivé, à quelques reprises, que des dialogues soient enterrés par la musique. Et puisque ce sont parfois les propres enfants de M. Laramée qui ont enregistré des textes, il arrive que s’installe une certaine cacophonie.
Malgré de petits accrocs, Run de lait est un documentaire théâtral qui devrait être obligatoire pour l’ensemble des Québécois, qu’ils soient des politiciens ou de simples citoyens; après tout, cette industrie est intégrée à notre génétique, en quelque sorte. Raison de plus pour savoir comment elle fonctionne et ce qui la menace.
Run de lait, de Justin Laramée
Mise en scène de Justin Laramée et Olivier Normand
Avec Justin Laramée et Benoît Côté
Jusqu’au 21 décembre, à La Licorne