Plus près des émotions que jamais avec des excès vivement amenuisés, sauf peut-être du côté de la durée et de cet univers aux costumes et décors distincts, Xavier Dolan combine la majorité de ses passions dans La nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé, sa première série, pour un visionnement agréable que ses fans ne voudront certainement pas manquer.
Au fil des ans et de la multiplication des projets face à une notoriété toujours en grande expansion, Xavier Dolan a perdu peu à peu le plaisir de jouer, ou du moins avait mis de côté ce pan de sa personnalité créatrice. L’exception était notable : sa première adaptation, soit Tom à la ferme, d’après une pièce de Michel Marc Bouchard.
Alors que les complications se sont multipliées, incluant toute la saga non négligeable de son premier film en anglais The Death & Life of John F. Donovan, le jeune cinéaste a soudain retrouvé ses zones de confort en se retrouvant à l’affiche dans des productions notables tel It : Chapter Two, Boy Erased, Bad Times at the El Royale et tout récemment le mégasuccès français Illusions perdues, ce, tout en se redonnant la vedette de son dernier film à ce jour : le délicat Matthias et Maxime.
Il n’est peut-être pas surprenant alors qu’en se lançant dans un nouveau défi de taille il aie encore senti le besoin de rechercher le réconfort et d’adapter à nouveau une pièce de Michel Marc Bouchard, mais aussi d’en ramener ses principales têtes d’affiche.
Pas de chance, par contre, pour la majorité des nombreux comédiens ajoutés, sauf peut-être pour Anne Dorval, qui se retrouve à nouveau à jouer avec tendresse sa mère dans un registre comme toujours bien différent; les changements sont plus que palpables. Julie Le Breton est impériale et sa complicité avec Patrick Hivon fait des flammèches, alors que Éric Bruneau et Magalie Lépine-Blondeau démontre sans mal qu’ils connaissent leur rôle sur le bout des doigts.
L’histoire en apparence simple fonctionne habilement dans ses non-dits et cette brochette de comédiens talentueux fait passer beaucoup de choses dans les silences et les regards. De fait, en connaissant le dramaturge, le contexte, mais aussi le cinéaste, il faut admettre que le récit comporte bien peu de surprises, ni même de révélations, et qu’on aura certainement tout deviné assez rapidement.
Tout cela fait en sorte que l’on sera peu ou pas surpris lorsque la série décidera de faire disparaître son aura de mystère, après des révélations d’indices au compte-gouttes.
C’est peut-être un peu pourquoi le format épisodique déçoit un peu. Là où il aurait été possible de développer davantage la profondeur ou de complètement s’éclater au niveau narratif, disons qu’on le fait fort peu. Beaucoup de scènes sont étirées en longueur (toute cette fête « surprise » notamment) alors que d’autres sont trop courtes ou auraient mérités à être mieux présentes. Il est pratiquement conseillé d’écouter tous les épisodes d’un trait tellement il s’agit d’une histoire en forte continuité, ce qui pousse à s’interroger si beaucoup des impacts n’auraient pas été renforcés au moyen d’un montage plus serré (Dolan en a comme toujours assuré l’entièreté, à l’exception de deux épisodes qu’il a partagé avec nul autre que Stéphane Lafleur) et d’un film plus ou moins longuet pour bien ressentir, avec audace, les nombreuses charges émotives que la série essaie d’atteindre.
Un moment qui fait penser à un des grands flash de Mommy, plutôt magnifique, n’apparaît pas nécessairement avec sa force maximale, alors qu’il est pris en sandwich entre quelques scènes des nombreux épisodes, plutôt qu’en apothéose d’un seul et même tout.
Il faut aussi préciser que ce ne sont pas tous les flashbacks qui fonctionnent (difficile de faire la différence entre la Mireille ou le Julien d’aujourd’hui et celui ou celle qui devrait avoir trente ans), et qu’une grande part de la poésie s’avère un peu évacuée (on aurait peut-être pris un peu plus de cette idée des balades nocturnes pour mieux renforcer l’impact et moins de cette obsession pour la pluie ou la neige salvatrice). Il y a aussi les multiplications de tons qui sont assez énigmatiques, surtout ce flirt évident avec l’horreur qui a recours à plusieurs jump scare sans nécessairement avoir de raisons d’être, en particulier face aux véritables horreurs que cache l’histoire, et ce penchant pour le suspense qui n’en est pas vraiment un, tout compte fait.
C’est d’autant plus frappant quand on pense à des œuvres aux thématiques similaires comme Take me to the River, ou le récent et souvent décoiffant Frère et sœur, qui trouvaient des façons formidables de déjouer le spectateur en le prenant beaucoup moins souvent qu’on le croirait par la main.
L’interprétation est elle aussi inégale. Si l’on parlera encore et encore des personnages principaux (tout ce que fait Bruneau avec ses lunettes est brillant), et bien qu’on comprenne qu’il ait eu envie de s’offrir un rôle, Dolan ne parviendra pas à atteindre le niveau de ses partenaires.
On croira encore moins au personnage de Julianne Côté et son manque de chimie avec tous ceux qu’elle croise. Comme quoi celle qui habituellement éclipse tout sur son passage aura rarement semblée si peu à l’aise.
Du côté des Gaudreault, peut-être qu’il est volontaire de laisser Laurier autant en retrait et d’en faire un fantôme du personnage, mais c’est un aspect issu de l’horreur qui est certainement mal développé, si tel était le désir, surtout considérant qu’on offre finalement si peu de temps d’écran valable à Pier-Gabriel Lajoie.
Visuellement, par contre, c’est irréprochable et cette énième collaboration entre Dolan et André Turpin continue de prouver qu’ils sont en parfaite osmose. L’apport du grand Hans Zimmer à la trame sonore (responsabilité partagée avec un de ses protégés David Fleming) surprend également grandement, ajoutant quelque chose qui semble plonger la télésérie dans une autre époque.
Enfin, La nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé s’inscrit parfaitement bien dans le parcours de Dolan. Loin toutefois de faire office d’œuvre récapitulative, d’être à la hauteur des attentes, ou encore de les dépasser, face à quelqu’un qui se dit un peu fatigué d’une certaine industrie, il s’agit au contraire du testament évident de quelqu’un qui a encore énormément de plaisir et de dévouement à créer, que ce soit devant ou derrière la caméra, mais aussi comme quelqu’un qui semble bien loin d’avoir dit son dernier mot.
6/10
Les cinq épisodes de la minisérie La nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé sont désormais disponibles sur la plateforme du Club Illico de Vidéotron.