Ni Kaki Tackakwan (Ce qui m’a influencé, en langue atikamekw), « c’est ma première grande expo solo », observe Jacques Newashish. Parmi toutes les oeuvres qui seront exposées au public pendant deux semaines au marché Bonsecours, une dizaine le seront pour la première fois. Elles explorent la dualité d’une même personne. L’artiste les présente comme des autoportraits qu’il fait en se cachant derrière un autre visage. « C’est à moi de découvrir ce que ça veut dire », croit-il.
Jacques Newashish est né à La Tuque, en 1958. À Wemotaci, où il a grandi, les aînés l’ont nommé Odidakw, la hache, un outil à tout faire pour les Atikamekw. Aujourd’hui, il est connu comme peintre, sculpteur, conteur et chanteur.
Son exposition regroupe des oeuvres de différentes réflexions, de différents styles, ceux qui, au fil des années, l’ont amené aux résultats d’aujourd’hui. « Ça a pris plusieurs années, plusieurs styles de dessins de peintures pour arriver à aujourd’hui », indique l’artiste. Il aurait aimé montrer des tableaux qu’il a peints et exposés en France. Mais ils sont stockés là-bas et leur transport est compliqué.
Ses oeuvres visitent ce que ses ancêtres ont dû vivre, puis différentes étapes jusqu’à aujourd’hui. « C’est l’Histoire, conclut-il. C’est mon histoire. »
Il a commencé une série de tableaux autour des colonisateurs; il s’appuie sur les drapeaux des nations et représente les confrontations, les échanges, les invasions qui ont influencé la culture et le mode de vie des autochtones, qui ont fait couler leur sang. « Je voulais juste faire un petit rappel de l’histoire, de ce moment-là ou ça a commencé », indique-t-il. Un tableau s’intéresse à l’Angleterre, et deux autres racontent les rapports avec le Canada et les États-Unis. Il prévoit d’en faire également sur la Hollande, le Portugal, l’Espagne et la France.
Ses tableaux récents contiennent beaucoup de dripping, une technique de projection de peinture. « Pour moi c’est une énergie que j’installe sur la matière », explique-t-il. Il ne touche pas à la toile ni au papier. « C’est le mouvement qui envoie la tâche où je veux que la tâche soit. »
Il aime utiliser le noir et le blanc l’un à côté de l’autre, comme la vie et la mort, le bien et le mal, le jour et la nuit, d’autres dualités à interprêter. Dans son oeuvre, M. Newashish reprend la symbolique des couleurs utilisées dans les cérémonies : mauve pour le cosmos, vert au-dessus de la terre, bleu turquoise sous la terre.
Il détaille aussi les couleurs de la roue de médecine. À l’est, le jaune représente le soleil levant, la naissance, la pureté et la lumière intérieure. Au sud, le rouge est pour l’amour inconditionnel, la vie et la fécondité. À l’ouest, le soleil se couche, c’est le noir de la nuit. C’est aussi un rappel que le chemin se dirige vers le monde des esprits, une invitation à s’y préparer en méditant. Au nord, le blanc symbolise la force et les aînés, qui tirent leur force de leur âge. C’est aussi le don de soi et l’amour de la vie chaque jour.
Les femmes-oiseaux figurent parmi les thèmes chers à Jacques Newashish. Il a commencé par en dessiner une en noir et blanc à l’encre de Chine, pour la beauté de cette transformation d’une humaine en oiseau de nuit. À l’origine, c’était pour lui une marque de respect pour la femme. « Je viens de ma mère, note l’artiste, et je connais un peu toutes ses transformations au fil des années ». Puis, des questions lui viennent. Que font les femmes-oiseaux dans la nuit ? Il envisage qu’elles se libèrent dans leur transformation.
Il a repris le thème pour les femmes autochtones disparues. Elles aussi se sont transformées pour devenir autre chose. « Ces femmes-là qui sont parties dans la nuit on ne sait pas où ni comment […], je souhaite que leurs esprits deviennent des oiseaux de nuit », exprime l’artiste.
Une autre sculpture de femme-oiseau avait disparu il y a quelques années, emmenée par erreur à la déchiqueteuse. Le sculpteur se souvient qu’il était blessé, triste, fâché, un peu comme « ce que les familles ressentent en perdant quelqu’un de cher », pense-t-il. Il a alors sculpté en quelques heures une autre femme-oiseau, plus petite, pour la remplacer. Il estime qu’« il ne fallait pas que ça reste comme ça. »
Cette sculpture a été brûlée lors d’une cérémonie en hommage aux disparues. « Chaque personne était interpellée à faire une prière et à allumer le feu, pour que ces femmes-oiseaux, un peu comme les papillons de nuit, viennent, attirées par le feu, comme un phare », imagine le conteur. Il voulait que les prières libèrent les personnes perdues dans la nuit, mais aussi ceux qui restent.
Tant et aussi longtemps qu’il sera en vie, il sait qu’il peut actualiser ce qu’il a fait auparavant. « Les thèmes que j’ai pris il y a quelques années sont en suspens. Ils ne sont pas encore terminés. »
Cette rétrospective de 40 années de travail a été présentée au musée des Abénakis d’Odanak, au Centre d’exposition Léo-Ayotte à Shawinigan et à la Maison de la culture du Plateau-Mont-Royal à Montréal. Elle s’étend sur deux étages au marché Bonsecours, au 325 rue de la Commune Est à Montréal, du 24 novembre au 8 décembre.
Ladite exposition est diffusée par Les Productions Feux Sacrés.
Si le passé est au centre de l’exposition, le propos semble tourné vers l’avenir. Jacques Newashish confirme : « Ce qui m’a influencé fait ce que je suis. » Ce sont des étapes qu’il utilise aujourd’hui. « J’essaie d’entrevoir l’avenir, mais l’avenir n’est pas là », remarque-t-il. Il souhaite que la vie soit meilleure.
En attendant, il ne manque pas d’ouvrage. La Ville de Trois-Rivières lui a commandé des sculptures pour les futures résidences étudiantes autochtones. À Shawinigan, il réalisera une œuvre avec trois autres artistes atikamekw pour un édifice fédéral. Il attend également une réponse du Conseil des arts du Québec pour d’autres projets.
Un commentaire
Un gros merci pour votre fabuleux article!
Les Productions Feux sacrés sont heureux de présenter cette magnifique exposition Nin ka ki tackakwan (Ce qui m’a influencé) de Jacques Newashish!
Nous sommes ouverts jusqu’au 8 décembre à tous les jours de 11h00 à 17h00 au:
Marché Bonsecours
325 rue de la Commune Est au Vieux-Montréal
ADMISSION GRATUITE!
Au plaisir de vous recevoir,
– L’équie des Production Feux sacrés.