Quelle est la différence entre faire cuire de la nourriture et la brûler? À 780 000 années de distance, identifier cette différence n’est pas si évident.
Pour nos ancêtres préhistoriques, placer de la viande sur le feu pour l’attendrir a pu être une découverte qui s’est faite très tôt: les plus anciennes traces de viandes carbonisées remontent à un million et demi d’années. Mais le moment où ils ont appris à contrôler la température du feu est plus difficile à déterminer : lorsqu’un archéologue découvre sur un site préhistorique des restes de viande brûlée, a-t-elle été simplement mise au-dessus du feu, ou a-t-on affaire à la naissance de l’art culinaire?
C’est dans ce contexte que s’inscrit une découverte annoncée la semaine dernière en Israël : des dents d’un poisson cuit. Cela représenterait la plus ancienne trace de cuisson contrôlée, il y a 780 000 ans. Et selon les chercheurs qui font cette affirmation, la preuve résiderait dans des changements microscopiques de l’émail des dents du poisson.
Le site en question, le Pont des filles de Jacob, dans la vallée du Jourdain, connu depuis les années 1930, ne contient pas d’ossements humains, mais des outils de pierre que d’autres chercheurs avaient précédemment attribués à l’Homo erectus — un cousin qui fut probablement le premier à sortir d’Afrique. Outre cela, on y avait trouvé des groupes de dents de poissons, appartenant à deux espèces de la famille des Cyprinidés, connues pour leur valeur nutritive et leur bon goût. Une cuisson à faible température — par opposition à un contact direct avec le feu — aurait été suffisante pour adoucir les os — rendant plus probable leur désintégration dans les 780 000 années suivantes — tout en préservant les dents.
Mais comment le prouver? Les chercheurs ont voulu emprunter une méthode à la médecine légale : la diffraction des rayons-X dans les dents d’une personne décédée peut trahir la température à laquelle son corps a été exposé. Mais encore fallait-il démontrer que cette signature était la même chez des poissons, ce qui a nécessité de cuire —ou de brûler— plusieurs poissons, puis d’examiner leurs dents au microscope. La conclusion, publiée dans Nature, Ecology and Evolution : les poissons en question ont été exposés à des températures variant entre 200 et 500 degrés Celsius, et n’ont pas été directement exposés au feu.
Comme il s’agit d’une première étude de ce type, il en faudra d’autres pour convaincre les experts. Les poissons en question auraient pu être accidentellement exposés au feux du campement. Et même si on arrive à démontrer qu’il s’agissait bel et bien, cette fois-là, d’une révolution dans l’art culinaire, tout laisse croire qu’elle a mis beaucoup de temps avant de se répandre.