Après plusieurs explorations plus ambitieuses, le cinéaste Emmanuel Mouret retourne à ses premiers amours et la simplicité trompeuse du « et si » pour explorer comme toujours le couple, ses possibilités et ses limites. Chronique d’une liaison passagère est donc un film a priori délicieux et savoureux qui trouble rapidement par la nature foncièrement problématique de son idéologie.
Le désir, l’amour, l’adultère : des sujets qui sont certainement familiers pour celui qu’on a souvent comparé au Woody Allen français. Toutefois, plus les années avancent et plus les charmes qu’on lui croyait inoffensifs deviennent dérangeants face à une vision aussi fantasque qu’archaïque de l’amour, mais aussi d’un discours de plus en plus mélancolique et plus dangereusement rancunier.
Pourtant, tout est simple au commencement. Ce n’était pas prévu ni planifié, mais un coup de foudre est un coup de foudre et que serait le film si nos personnages y résistaient et retournaient chacun de leur côté sans consommer et consumer le fruit défendu?
On pourrait croire que tout est dans le titre et effectivement peu de surprises seront au rendez-vous, mais comme on s’en doute le but ici n’est pas de s’éloigner des chemins battus. Il s’agit plutôt de saluer les joutes verbales et le lyrisme des dialogues de Mouret qui comme toujours fondent en bouche comme d’une poésie révolue. Surtout lorsque les personnages sont défendus avec un investissement et un brio épatant de ses comédiens.
Comme quoi Vincent Macaigne est de loin la muse la plus intéressante que le réalisateur a jamais eue, complètement à l’opposé physiquement, mais avec une sensibilité qui fait rêver sur ce qu’aurait pu être ses meilleurs films si la rencontre avait eu lieu quelques décennies auparavant.
Sauf que si la chimie est indéniable, c’est sans conteste Sandrine Kiberlain qui s’attire tout l’intérêt, avec son interprétation franche et libertine, mais d’une profondeur tout en nuances de Charlotte, cet intérêt amoureux aussi volatile qu’imprévisible. Avec le talent qu’on lui connaît et qui épate toujours plus à chaque film, voilà qu’elle arrive à apporter de la profondeur à un rôle qui finit par être aussi grossier que trompeur. Et ce, même lorsqu’elle parvient à faire élever la justesse au-delà de l’absurdité (volontaire ou non).
C’est qu’en évoquant la « manic pixie dream girl », le pendant féminin ne fait que collaborer de manière problématique à un point de vue uniquement masculin. Plus dangereux encore, sous ses airs de fantaisie délicate, le film se donne à la fois l’illusion d’offrir deux points de vue (n’est pas Eternal Sunshine of the Spotless Mind qui veut), mais aussi de louanger le sexe féminin.
Il ne faut toutefois pas se méprendre : pour ce premier scénario où Mouret a partagé l’écriture (avec un autre homme, Pierre Giraud, dont c’est le premier scénario distinct), on y fait l’ode à peine camouflée à l’adultère.
Et surtout, on en fait l’apologie; pire encore, on veut continuellement s’approprier l’empathie pour le côté masculin qu’on essaie sans cesse d’affaiblir et adoucir, tentant sans cesse de le montrer irréprochable, même dans ses plus grands torts.
Pauvre homme blanc qui voit le point de non-retour arriver. Pauvre homme blanc empli de gentillesse et de respect qui doit survivre dans un monde où les brutes et ceux qui ont du culot gagnent. Comment peut-il résister à une femme qui incarne le désir absolu, l’absence d’attaches, la quête hédonistique idéale, mais aussi tout le courage qu’il n’oserait jamais s’approprier de lui-même?
C’est d’autant plus facile de prendre sans conteste le parti des deux tourtereaux comme on fait abstraction complète de leur « véritable » réalité et qu’on ne montre que nos infidèles ensemble et jamais les personnes trompées.
Certes, il y a peut-être un ou deux moments qui suscitent la grâce comme cette réplique précisant la nuance face à un compliment anodin entre deux être formant une beauté au lieu d’un seul, mais ceux-ci sont rapidement étouffés pour remettre à l’avant-plan l’inconfort et l’angoisse des hommes.
Fort d’une mise en scène simpliste (par moment un peu trop comme lorsqu’on fait défiler des dates comme dans un Power Point ou un court-métrage de collège), mais aussi des images délicates et lumineuses de son partenaire de longue date Laurent Desmet, le film finit presque par montrer la culmination ultime de sa maturité. Après tout, dans ses derniers instants qui semblent apporter toute la profondeur des réflexions vers lesquelles le tout (l’éphémérité en premier) semblait pointer, on s’adonne à un discours déchirant. Dommage, alors, qu’on ramène et résume bêtement tout ce qui était problématique avec parcimonie, jusqu’ici, pour tenir en pitié le pauvre homme jusqu’à la fin, en tentant de lui rendre un dernier hommage face à son inéluctable résilience (quelle vertu, quand même!)
Le goût amer final est donc total puisque malgré ses nombreux charmes et un savoir-faire souvent évident, ce Chronique d’une liaison passagère ne peut s’empêcher de geindre sur son propre malheur (pourtant loin d’être unique, mais qui fait office ici d’apitoiement inutile) en terminant avec la conclusion la plus terrible et complètement dépassée qu’on ne s’attendait pas à découvrir à un film de notre époque : le pire ennemi de l’homme serait donc la femme.
Pour ça, franchement, on repassera.
5/10
Chronique d’une liaison passagère prend l’affiche en salles ce vendredi 18 novembre.