Dans le monde des livres audio, il y a bien sûr le titan, Audible, propriété de l’empire Bezos, mais il y a aussi des irréductibles. Ou, plutôt, des plateformes comme Narra, qui tentent leur chance et visent à occuper un marché largement laissé de côté par les géants du numérique : celui des auteurs et autrices d’ici.
Narra, lancée il y a quelques semaines seulement, cherche donc à fédérer, sous un même toit, une bonne partie des oeuvres littéraires québécoises en format… eh bien, narré.
« Nous nous sommes rencontrées, Sandra et moi, alors qu’elle travaillait pour un grand groupe d’édition, le groupe HMH, et ensemble, nous nous sommes mises à faire du livre audio en 2019 », explique au bout du fil Joanie Tremblay, la cofondatrice de la plateforme, en parlant de ses premiers contacts avec sa collègue Sandra Felteau.
« Sandra a été ma première cliente, en fait… Une grande passionnée de livres audio! Et quand j’approchais les éditeurs québécois, les livres audio, ce n’était pas encore quelque chose qui se faisait à grande échelle. Nous nous sommes rencontrées, puis nous avons rapidement commencé à réaliser des projets ensemble, ça a cliqué. Je crois qu’il y avait cette opportunité, sur le marché québécois, de créer quelque chose pour mettre nos oeuvres de l’avant, ce qui n’existait pas. En travaillant dans ce milieu, en produisant des livres audio, nous nous demandions quoi en faire, où les vendre… On voyait qu’il manquait vraiment un maillon. »
« Au Québec, je pense que les gens sont de plus en plus sensibles à la question des livres d’ici, des libraires indépendants », renchérit Mme Felteau.
« Pour les passionnés de livres audio, il n’y avait pas vraiment d’autre choix que d’encourager les gros joueurs », poursuit-elle, avant de préciser que s’il existait une certaine offre, pour les romans québécois, il n’y avait pas, cependant, d’application mobile dédiée qui permettait notamment de transférer rapidement ses achats sur son téléphone.
« Nous nous sommes dit qu’il y avait une opportunité, là… On voulait proposer quelque chose de compétitif et qui a du sens. Car la demande était là. Cela nous a pris deux ans, et nous demeurons en situation d’amélioration constante depuis notre lancement. »
Devant la concurrence déjà présente, soit les plateformes étrangères, Joanie Tremblay juge que la création d’une vitrine québécoise est aussi « une question de valeurs et de choix ».
« Le choix québécois, le choix local que les gens auraient voulu faire était peut-être difficile à faire, soit parce qu’il n’y avait pas d’application d’écoute, par exemple », réitère-t-elle.
« Juste le fait d’avoir un lecteur » fait toute la différence, renchérit Mme Felteau. « Imaginez recevoir des fichiers MP3 compressés en une archive zip, puis de tenter de faire jouer ça sur votre téléphone… »
« Nous nous sommes dit qu’il nous fallait vraiment être le lieu de rassemblement pour toutes ces oeuvres, parce que nos livres audio québécois se noyaient dans le contenu américain ou anglophone » sur les plateformes existantes, mentionne-t-elle encore.
« Même si oui, des plateformes comme Audible existent, notre marché est petit, et qui de mieux que nous-mêmes pour en faire la promotion et mettre nos oeuvres de l’avant? »
Deux années de travail
Les deux jeunes femmes disent avoir été surprises par l’ampleur du travail à accompli et des obstacles à surmonter afin d’atteindre leur objectif et de créer Narra. Du financement de Québec et d’Ottawa a permis de faciliter les choses, mais la mise au point de cette plateforme a nécessité plusieurs années d’efforts continus.
« Nous nous insérons dans la chaîne du livre », indique par ailleurs Sandra Felteau. « Après cela, il faut créer un système à plusieurs niveaux, qui permet de reverser les redevances aux éditeurs, puis aux auteurs. Ce qu’il faut savoir aussi, c’est que dans le milieu traditionnel du livre, des distributeurs font le pont avec les librairies; il y a l’équivalent en numérique, ce qui a donc nécessité des ententes avec ces entités. C’est vraiment une machine, mais nous voulions aussi concevoir un modèle d’affaires qui fonctionnait, au sein de l’industrie, mais qui correspondait également à ce que nous voulions faire, c’est-à-dire rétribuer les créateurs de façon plus juste. »
Pour leur première année d’existence, les deux femmes se donnent certainement un objectif de rentabilité, mais ne donnent pas plus de détails. Elles mettent cependant de l’avant les différentes options offertes pour se procurer des titres, que ce soit en achetant des livres audio à la pièce, ou en prenant un abonnement mensuel qui donne accès à des « crédits » permettant de garnir sa bibliothèque numérique.
« C’est difficile de se dire que nous voulons aller chercher tant de parts de marchés, comme il existe bien peu de données et qu’Audible ne partage pas ses chiffres de ventes », déplore Joanie Tremblay.
Mais malgré le flou, les deux créatrices de Narra sont convaincues qu’elles ont trouvé un bon filon, celui de la culture littéraire d’ici, et sauront continuer de développer une plateforme adaptée aux besoins des lecteurs (ou auditeurs?) québécois.