Même si elle met en scène de la nudité et une symphonie des corps s’abandonnant au plaisir, la bande dessinée érotique Dryade de Laduchesse propose surtout de la fantasy originale, et une intrigue prenant place dans un monde dystopique où le sexe est la seule voie de salut.
Dans un futur éloigné, suite à la destruction de la lune, la Terre a perdu sa principale protection contre une forme d’énergie émise par le soleil, la luciférine. Sans filtre, ces ondes solaires irradient désormais la planète en permanence, provoquant des mutations catastrophiques chez les êtres humains. Le seul moyen pour les hommes de ne pas régresser à l’état de créatures dégénérées est de s’accoupler avec les dryades, des femmes-plantes capablent d’absorber leur excès de luciférine lorsqu’elles atteignent l’orgasme. Au fil des ans, la flore a entièrement disparu du globe, l’humanité dépérît, et notre monde n’est plus qu’un vaste désert glacé peuplé par des légions de monstres violents. Seuls subsistent quelques oasis de végétation, là où les dryades ont élu domicile. Malheureusement, ces havres de paix sont régulièrement attaqués par les mutants, et doivent donc être fortifiés et protégés.
Le premier tome de Dryade prend place dans le bunker de Gekha, l’un des derniers bastions de la civilisation. Quelques jours après le décès de Mélina, la dryade attitrée des lieux, l’arbre sous lequel son corps fût enterré donne naissance à sa successeure. Avertis par une lettre de la défunte qu’un mystérieux jardinier menace cette femme-plante nommée Flore, les envoûteurs Théode et Dorik s’enfuient avec elle, mettant en péril le fragile équilibre de l’oasis. Dans le second volume de la série, les effets de la luciférine semblent de plus en plus hors contrôle, et Flore se découvre des pouvoirs étonnants. Non seulement parvient-elle à ressusciter les mandragores, des plantes carnivores se nourrissant des mutants ayant atteint un stade avancé, elle guérit également les monstres dont la dégénération était considérée comme irréversible. Suite à sa capture par les hommes du bunker, Théode et Dorik feront tout pour venir en aide à celle qui pourrait bien être le dernier espoir de l’humanité.
La bande dessinée érotique en Europe possède ses lettres de noblesse avec des créateurs de renom comme Milo Manara ou Guido Crepax, mais au Québec, bien que le Neuvième Art ait acquis une belle maturité dans les dernières années, les artistes osant produire des albums de ce genre se comptent sur les doigts d’une main. Avec les deux tomes de Dryade, Stéphanie Leduc, alias Laduchesse, fait donc figure de pionnière. Plutôt qu’un simple prétexte pour enfiler les scènes torrides, l’intrigue de cette série de fantasy s’avère solide et intelligente. Avec une plume précise, la scénariste résume sa prémisse de manière succincte dans les deux premières pages, avant d’étoffer son monde postapocalyptique d’une riche mythologie où le sexe, plutôt qu’être dépeint de façon gratuite, est présenté comme un acte vital visant à préserver l’équilibre sur Terre. Bien que les dryades soient entourées de dizaines de mâles cherchant à obtenir leur faveur, la notion de consentement est omniprésente dans le récit, contrairement à un album comme Le déclic.
Bénéficiant d’un coup de crayon expert, les illustrations dans Dryade sont à la fois subtiles et élégantes. Il y a évidemment beaucoup de nudité dans la série, mais alors qu’un créateur masculin aurait pu verser dans la vulgarité, la sensibilité féminine donne ici naissance à des images sensuelles et de bon goût. Laduchesse maîtrise assez bien l’anatomie humaine pour reproduire les corps, mais aussi les déformer, et les amalgamer avec les plantes. Les dryades sont recouvertes de racines, de feuilles, de lianes ou de lierre, et avec leurs dents acérées et leurs peaux écarlates, les mutants évoquent des satyres. L’artiste sait croquer et transmettre le plaisir charnel sur le papier, et dessine souvent des arabesques lumineuses encerclant les corps qui s’enlacent, ce qui donne un petit côté lyrique à certaines planches. Bien que le scénario ne laisse pas à désirer, loin de là, on est vraiment ébloui par la beauté des images et la virtuosité graphique de l’illustratrice.
Stimulant autant la libido que l’imaginaire, Dryade est une série de fantasy pour adultes qui sort des sentiers battus, et bien que le second tome vienne tout juste de paraître, on a déjà hâte de savoir ce que Laduchesse nous réserve pour la suite.
Dryade – Tome 1 : Les envoûteurs, de Laduchesse. Publié aux éditions Moëlle Graphik, 64 pages.
Dryade – Tome 2 : Les mandragores, de Laduchesse. Publié aux éditions Moëlle Graphik, 68 pages.