Face à une insécurité alimentaire grandissante en Afrique de l’Ouest, des entrepreneures béninoises misent sur les technologies traditionnelles de maraîchage et de transformation agroalimentaire afin d’assurer l’autonomie alimentaire de leur communauté et accroître leur résilience face aux changements climatiques.
Adjibola Moulibabou marche fièrement au centre de sa ferme piscicole, en périphérie de Porto-Novo, la capitale du Bénin. Les cinq étangs où elle élève des poissons Tilapias ont été creusés à la sueur et à la pelle. Autour, la végétation est luxuriante. Ici et là, la jeune entrepreneure a planté des arbres fruitiers comme des papayers et des cacaoyers, et des plantes comme de l’amarante, du taro, du crincrin (plante verte utilisée dans les sauces pour sa texture gluante), du riz, du piment fort ou encore, de la citronnelle. La jeune Béninoise a commencé ce projet avec seulement 50 000 francs, l’équivalent de 100 dollars canadiens.
« Je me suis dit « si l’on doit attendre le grand capital pour commencer, ce sera difficile. Commençons par le peu qu’on a » », dit celle qui, comme tant d’autres, n’a pas accès à un capital pour investir dans des technologies ou des intrants agricoles coûteux.
Les défis sont nombreux pour cette jeune femme qui fait sa place en pisciculture, un domaine traditionnellement masculin, dans une société où la femme reste typiquement à la maison. Limitée par le manque d’accès au capital, victime de vols nocturnes de ses poissons, Adjibola Moulibabou doit aussi composer avec la flambée des prix de la nourriture de poissons, dont les ingrédients sont généralement importés d’Ukraine et de Russie, ce qui réduit considérablement sa marge de profit.
Malgré tout, la jeune Béninoise de 33 ans continue de mener son projet avec une volonté de fer. Produisant des protéines animales et une diversité d’aliments sains pour sa communauté, elle contribue à la sécurité alimentaire de sa région avec des technologies d’agroforesterie à faibles coûts et impacts environnementaux. En même temps, elle contribue à ouvrir la voie pour d’autres femmes entrepreneures.
« D’ici cinq ans, j’espère que mon site sera un village aquacole, avec une plus grande production et transformation des poissons en filets ou en tranches fumées séchées, espère-t-elle. Je souhaite être un centre de formation pour les jeunes et spécialement sur les femmes, et inciter les jeunes femmes à aller dans l’activité. C’est ma vision. »
Souvent dans l’ombre, les petites productrices comme Adjibola jouent un rôle important pour la sécurité alimentaire de leur communauté. Et ce rôle semble prendre une tout autre ampleur, avec les multiples crises aggravant l’insécurité alimentaire dans la région.
Les effets cascades de l’insécurité alimentaire
Près de 38 millions de personnes sont menacées par la faim en Afrique subsaharienne, alertait l’Organisation des Nations unies (ONU) au printemps dernier. Selon l’organisation, il s’agit d’ailleurs de la pire crise de sécurité alimentaire et de nutrition jamais connue depuis dix ans.
Différents facteurs sont en cause. Les sécheresses et autres effets des changements climatiques se font de plus en plus sentir en Afrique de l’Ouest, où règne un climat d’insécurité dans plusieurs régions. La pandémie de COVID-19 a perturbé les chaînes d’approvisionnement et ralenti les économies régionales. Enfin, les perturbations des exportations de céréales depuis la Russie et l’Ukraine ont mis en exergue les vulnérabilités liées à la mondialisation des ressources alimentaires, surtout dans des pays ayant un très faible pouvoir d’achat et une autonomie alimentaire limitée.
« Quand des familles n’ont pas suffisamment à manger, les répercussions sont très importantes et à plusieurs niveaux, rappelle Christine Simonnet, chargée de projets internationaux à la Fondation Paul Gérin-Lajoie. On fait souvent le lien avec l’insécurité alimentaire et une éducation insuffisante, un médiocre état de santé et une pauvreté intergénérationnelle. »
Le lien entre la sécurité alimentaire et l’éducation est également très important, souligne Mme Simonnet. « Si un enfant a un ventre vide, il apprend mal à l’école, il a des problèmes de santé, sa scolarité est menacée, explique-t-elle. C’est sa contribution, en tant qu’acteur et transformateur de la société, qui est remise en question. Et s’il y a un choix à faire entre éduquer la fille ou le garçon, le revenu du ménage ira à l’éducation du garçon. »
Pour renforcer la sécurité alimentaire, l’éducation des jeunes, la lutte contre la pauvreté et la résilience aux changements climatiques en Afrique de l’Ouest, plusieurs misent sur l’autonomisation économique par le biais de l’entrepreneuriat de femmes comme Adjibola Moulibabou. La plupart de ces entrepreneures sont actives dans la production agricole et la transformation agroalimentaire et utilisent des techniques traditionnelles, à faibles coûts et impacts, pour mener leurs activités.
Au Bénin, l’Association des personnes rénovatrices des technologies traditionnelles (APRETECTRA) et le Réseau d’Appui aux initiatives locales (ONG RAIL) reçoivent à cet effet l’appui de la Fondation Paul Gérin-Lajoie et le soutien financier du ministère des Relations internationales et de la Francophonie du Québec. Avec l’Initiative pour la co-construction d’un savoir commun Sud-Sud et Sud-Nord sur l’Entrepreneuriat féminin (ISEF), près de 700 filles et femmes recevront des formations pour les aider dans leur projet entrepreneurial et recevront des équipements répondant à leurs besoins entre 2022 et 2024.
Dans la ville de Comè, Julienne Lokossa fabrique de délicieux petits pains de maïs, qui sont revendus par d’autres femmes sur les marchés. Yvette Akakpo cultive, toute seule, une panoplie de fruits et de légumes sur trois hectares. Sur des petits fours d’argile, Pauline fabrique des croustilles de bananes plantain avec des oignons caramélisés. Avec un séchoir solaire, Clémence Dossougoin fabrique des farines enrichies contenant des bananes plantain, de la poudre de baobab, des carottes ou de la moringa.
À Porto-Novo, Adjibola Moulibabou a foi en toutes ces femmes qui peuvent contribuer, elles aussi, à l’autonomie alimentaire en Afrique de l’Ouest. « Une femme, tu lui fais gérer quelque chose, tu lui fais confiance, tu dis la fais croire: “tu peux y arriver”, elle va te sortir de grandes choses! s’exclame l’entrepreneure. L’entrepreunariat n’est pas facile, mais si tu ne baisses pas les bras, tu ne te décourages pas, tu vas y arriver. »
* Ce reportage a été réalisé grâce à une bourse de journalisme indépendant de la Fondation Paul Gérin-Lajoie.