Pour s’adapter aux changements climatiques, il faut aussi revoir nos façons de vivre; en Amérique du Nord, cela veut dire repenser la ville, avec sa place gigantesque laissée à l’automobile. Le maire de Laval, Stéphane Boyer, a lancé un pavé dans la mare en ne proposant rien de moins que Des quartiers sans voitures, qui est le titre de son essai paru aux éditions Somme Toute. Attention, toutefois, dit-il, à ne pas se priver de l’appui de la population…
L’idée peut sembler simple : créer des espaces urbains beaucoup plus densifiés que les quartiers de banlieue traditionnels, par exemple, où les résidents vivraient dans des logements confortables, certes, mais aussi dans des endroits où il n’y aurait ni stationnement réservé à un domicile, et ni véritables rues.
Ces quartiers, dont la largeur serait limitée par les distances pouvant être parcourues en relativement peu de temps – en s’appuyant sur le concept de « ville en 15 minutes », où les citoyens peuvent se rendre au travail et fréquenter des commerces sans consacrer plus de 15 minutes en se déplaçant à pied ou en vélo –, permettraient, juge le maire, de non seulement largement réduire la pollution sonore imputable aux véhicules à essence, mais aussi diminuer la pollution atmosphérique, accroître les interactions sociales et faciliter la vie de quartier.
Relativement facile à imaginer? Peut-être. Mais quant à mettre cette idée en pratique, il y a un fossé à combler.
« Il y a toutes sortes d’élus et de politiciens; moi je suis un gars d’idées. Ce qui m’a toujours interpellé, en politique, était de trouver des solutions à des enjeux de société. J’ai eu la chance, avant d’être maire, de faire deux mandats comme conseiller municipal, et c’est durant ces deux mandats que j’ai vraiment découvert l’urbanisme et l’aménagement urbain », explique celui qui est à la tête de la troisième plus importante ville du Québec depuis novembre 2021.
« Je me suis rendu que la façon dont on aménage nos villes est bien plus qu’une question d’esthétisme des bâtiments; cela va venir déterminer comment on se sent dans un quartier, comment on se déplace dans une ville, comment on effectue des interactions sociales… Cela a vraiment un impact direct et concret sur nos vies, en plus d’un impact à très long terme. Ce livre, la rédaction a débuté lorsque j’étais conseiller municipal. Il y a trois ou quatre ans, nous avons entamé les discussions pour revoir le règlement d’urbanisme, après 50 ans du vieux règlement désuet. Dans le cadre de cette réflexion, nous nous sommes demandé s’il était possible de faire plus qu’une mise à jour, si l’on pouvait réimaginer les villes, la façon dont on les développe. C’est de là que m’est venue l’idée Des quartiers sans voitures. »
Toujours au dire du maire, cette idée de quartiers sans voitures existe ailleurs, notamment en Europe, mais il le reconnaît lui-même : « Dans le contexte nord-américain, dans le contexte de Laval, c’est une idée qui peut paraître radicale. »
Laval, en effet, a connu un développement urbain disparate au fil des décennies; si certains quartiers résidentiels sont demeurés les mêmes, surtout autour des coeurs des anciennes villes ultimement fusionnées, ailleurs, des centres commerciaux et des tours à condo sont apparus sur des terrains vagues, le tout souvent enclavé par de vastes autoroutes.
Dans ce contexte, la vision du maire Boyer peut détonner, mais elle s’inscrit aussi dans le cadre d’une mouvance qui a porté au pouvoir, depuis quelques années déjà, des maires et des mairesses plus progressistes, et dont la vision de la ville s’articule moins autour de l’automobile.
« Le vent est en train de tourner, indique ainsi le maire de Laval. Ce n’est pas seulement une impression. Factuellement, dans les sondages, année après année, on constate que l’enjeu de l’environnement est constamment parmi les priorités des gens, et le pourcentage qui s’en préoccupent augmente d’année en année. Je crois que c’est un mouvement de fond; une prise de conscience collective qui s’opère. Pour moi, l’environnement est incontournable. Je dis souvent que chaque époque a son défi… Je crois que pour notre époque, ce sera la transition écologique vers un mode de vie plus sain. C’est un défi qui sera très grand. »
Changer, oui, mais pas seulement imposer
À l’aune des grandes transformations qui sont non seulement nécessaires, mais aussi urgentes, afin d’éviter le pire de la crise climatique, la question de l’acceptabilité sociale demeure particulièrement importante, juge aussi le maire Boyer.
« Il faut changer les habitudes, mais il faut garder les gens avec nous. On ne peut pas juste imposer quelque chose aux gens sans l’expliquer, sans que les gens y adhèrent », dit-il.
Voilà pourquoi, entre autres, l’idée des quartiers sans voitures s’implanterait d’abord sur des terrains non construits, qu’il s’agisse de terrains vagues ou d’endroits où d’anciennes installations ont été démolies, plutôt que dans des quartiers construits. Il s’agit non seulement d’une question de coûts, mais aussi un moyen d’éviter que la population, ulcérée, ne décide d’expulser les décideurs aux prochaines élections.
Car, reconnaît Stéphane Boyer, il est facile, lors du scrutin subséquent, d’élire un parti qui promettra de défaire et déconstruire ce qui a été bâti par l’administration précédente.
Pour éviter cela, M. Boyer propose de construire quelques premiers quartiers sans voitures qui serviront aussi de vitrines pour de futurs projets. Le tout, explique-t-il, en collaboration avec les développeurs urbains et les entrepreneurs, qui voient là une occasion d’affaires. Et une fois que ces quartiers auront fait leurs preuves, en quelque sorte, d’autres pourront s’ajouter.
Ce processus risque-t-il, toutefois, d’être ralenti par les décisions du gouvernement provincial, dont le financement sera essentiel, mais dont les priorités actuelles semblent s’articuler autour d’un tunnel entre Québec et Lévis?
« Je pense surtout que le gouvernement actuel n’est pas dogmatique… Je ne m’immiscerai pas dans la politique québécoise, mais on sent qu’une partie de la population aimerait avoir un tunnel ou un pont; c’est ce que la Coalition avenir Québec (CAQ) a promis… À Montréal, c’est un Réseau express métropolitain (REM) ou un prolongement du métro; à Laval, nous avons trois projets de service rapide par bus à l’étude… Je n’ai pas l’impression que le gouvernement provincial est très à gauche ou très à droite. Je pense qu’il essaie d’avancer des projets qui ont des appuis à l’échelle locale », dit le maire de Laval.
Ce dernier rappelle toutefois que la collaboration de tous les paliers de gouvernement sera nécessaire pour envisager la ville de demain, d’autant plus que « les infrastructures coûtent de plus en plus cher ».
Ultimement, la révolution « radicale » du maire Boyer est appelée à s’effectuer à vitesse modérée, en s’assurant que le projet soit bien présenté et bien expliqué à la population. Et sans annoncer, du jour au lendemain, que des quartiers existants seront rasés. Mais le premier magistrat de Laval ne ferme pas la porte à un redéveloppement de certaines parties de sa ville, notamment les gigantesques espaces occupés par des centres commerciaux, dont le modèle d’affaires est en perte de vitesse, juge-t-il.
Et ces sites sont encore plus intéressants qu’ils sont souvent entourés par des milliers de cases de stationnement. La prochaine révolution urbaine, en Amérique du Nord, pourrait bien ainsi prendre naissance à Laval…