Quelle déception que ce Armageddon Time, nouveau long-métrage de l’immensément talentueux cinéaste James Gray, primé et acclamé dès son premier film fait alors qu’il n’avait que 24 ans. Une production soignée, mais ironiquement anonyme qui manque de sa profondeur à presque tous les niveaux.
Ce n’est un secret pour personne, Ad Astra, son précédent long-métrage, qui était également son plus gros et ambitieux en carrière, lui en a fait voir de toutes les couleurs. Sensible, mais pris entre deux désirs, le film est resté suspendu entre les exigences des studios et la passion de son créateur. Il n’est donc pas surprenant que pour se ressourcer, James Gray a voulu retourner à la source à quelque chose d’imminent personnel.
Ainsi, après avoir atteint les étoiles et exploré pour la première fois l’avenir, il est drastiquement retourné vers le passé, mais aussi vers son Queens natal qu’il n’avait pas visité depuis plus d’une décennie. S’inspirant librement de son enfance, on aurait dû y trouver son film le plus sensible et personnel en carrière et c’est un peu avec ces attentes qu’on a abordé le film, connaissant d’ores et déjà tout son savoir-faire. Le résultat pourrait difficilement être plus contradictoire.
On savait qu’on serait prêt à suivre Gray n’importe où, comme en a fait foi son sublime The Lost City of Z pris dans les dangers et les splendeurs de l’Amazonie, mais on a évidemment un faible lorsqu’il déambule dans les ruelles des petits quartiers avec les malfaiteurs pas trop loin, le genre de criminel qu’il connaît comme le revers de sa main avec ses plus que concis Little Odessa, The Yards et bien sûr We Own the Night. Et ce, même si sa sensibilité nous en a quand même fait baver lorsqu’il a livré comme par surprise son déroutant Two Lovers. D’une filmographie qui n’a jamais eu peur d’oser, on ne se serait pas attendu à le retrouver dans une forme aussi simpliste.
C’est que ce Armageddon Time trouve en son cœur un jeune garçon espiègle un peu perdu que tous essaie de remettre tant bien que mal sur le droit chemin. Sauf qu’il y a en parallèle tous les problèmes de l’époque (qui sont finalement presque tous les mêmes qu’aujourd’hui) de la lutte des classes autant sociale que raciale.
L’époque est recréée avec toute la délicatesse qu’on connaît au réalisateur, et il est impossible de ne pas s’immerger entièrement dans cette réalité pas si lointaine, surtout avec les images du merveilleux Darius Khondji. La distribution a bien quelques pépites, surtout parce que Anthony Hopkins a toute la grandeur et la douceur qu’il a maintes fois démontrées, alors que Jeremy Strong et Anne Hathaway (au jeu judicieusement contenu) forment un couple plus que réaliste et rassembleur autant dans ses forces, que dans ses faiblesses.
Là où l’on est moins convaincu, c’est lorsque le scénario se veut plus revendicateur (avec beaucoup trop de simplicité pour démontrer la véritable couleur des enjeux), mais aussi lorsqu’il vire davantage dans un absurde involontaire, comme dans ces scènes de familles où un burlesque à demi-volontaire manque cruellement de naturel. Cette rythmique n’est pas donnée à tout le monde, mais le manque de naturel n’est habituellement pas un reproche qu’on peut attribuer à Gray et de le faire ici est certainement douloureux. Et lorsque Jessica Chastain se pointe enfin en incarnant Maryanne Trump, la sœur de Donald, on est à la limite de la mauvaise parodie.
À moins de deux heures de durée, le film en paraît bien plus long puisque les surprises sont peu nombreuses et que tous les terrains arpentés l’ont été cent fois et fort habituellement de meilleure façon. Peut-être que de confier la totalité du montage à Scott Morris, assistant dans deux de ses films précédents, n’était pas encore une bonne idée. Il faut croire que Gray aurait dû attendre un peu plus longtemps avant d’effectuer son grand retour, histoire, peut-être, de se remettre plus sainement de ses émotions, mais aussi de pouvoir peaufiner ses souvenirs de jeunesse.
Pourtant les thématiques et les préoccupations du réalisateur y sont, l’importance de la famille en plein cœur, la dualité de deux milieux différents également, mais pas la force d’acuité et de justesse qu’il avait toujours su nous démontrer.
Sans véritable moment d’anthologie, James Gray développe ici presque exclusivement le côté beaucoup plus gnangnan qu’il n’a pourtant jamais caché, mais toujours fait habituellement avec beaucoup plus de doigté ou du moins avec une profondeur plus riche, une poésie plus sentie et un romantisme plus éblouissant et crève-cœur.
Armageddon Time pourrait être le film de bien des cinéastes et on trouve dommage de ne pas trouver, en cette ode à son passé, tout le génie qu’on n’a jamais cessé d’attribuer au cinéaste. À voir peut-être, mais décidément pas pour ceux qui aimeraient découvrir tout le talent de James Gray, pour cela il y a tous les autres films qui jusqu’ici n’avaient offerts aucune mauvaise note.
6/10
Armageddon Time prend l’affiche en salle ce vendredi 4 novembre.