La pandémie a démontré l’importance de la santé publique. De nombreux chercheurs soulignent que cette dernière devrait être mieux soutenue, et que les campagnes de vaccination ne doivent pas prendre la place des programmes communautaires de santé auprès des minorités et des citoyens vulnérables.
Négligée pendant les années d’austérité, la santé publique représenterait actuellement de 2 à 3 % du budget canadien de la santé. On regroupe sous cette étiquette la prévention des maladies et la promotion de bonnes pratiques en matière de santé: les programmes de santé publique aident ainsi à réduire les décès et à diminuer les coûts d’hospitalisation — et pas seulement lors de crises sanitaires.
Quel que soit le gouvernement et le pays, les investissements en santé publique s’avèrent toutefois peu valorisés et sont souvent les premiers à être coupés. « Guérir » domine sur « prévenir ».
« La santé publique passe souvent sous le radar des gouvernements, parce que la prévention n’apporte pas des résultats à court terme. Ce n’est pas une politique bruyante et les résultats sont souvent un peu flous et difficiles à corréler avec les mesures », explique le professeur de gestion, évaluation et politique de santé, à l’École de santé publique de l’Université de Montréal, Olivier Jacques.
Sa récente étude, menée avec son confrère Alain Noël, confirme que la santé publique est plus vulnérable à l’austérité fiscale et attire moins de votes en raison de son invisibilité. Même les gouvernements plus « à gauche », lit-on, investissent peu en santé publique.
Pour arriver à cette conclusion, les chercheurs ont analysé les politiques de 25 pays de l’OCDE entre 1970 et 2018. Olivier Jacques et Alain Noël se sont rendus compte que les gouvernements qui possèdent des services nationaux de santé investissent de plus grands montants que ceux qui s’appuient sur des systèmes d’assurance santé sociale.
Bien que très différents à cet égard, les États-Unis et le Canada font néanmoins bonne figure dans cette comparaison entre l’investissement dans les soins —« guérir »— et dans la prévention; ils font mieux que bien des pays européens souvent admirés pour leurs politiques sociales, et mieux que l’Australie et le Japon. Quoique les États-Unis et le Canada restent eux aussi orientés beaucoup plus vers le curatif que la prévention.
Le curatif l’emporte, à droite comme à gauche
La pandémie l’a démontré, un investissement trop orienté vers le curatif et pas assez vers la prévention, fait apparaître ses lacunes au grand jour lorsque survient une crise sanitaire. Particulièrement auprès de populations plus vulnérables.
Néanmoins, tant les gouvernements associés à la « droite » (lire, plus libéraux et contre l’interventionnisme de l’État) que ceux situés plus à « gauche » (plus en faveur des politiques sociales) investissent en santé plus souvent pour soutenir le curatif que la prévention.
« L’argent va aller plus dans les hôpitaux et les soins de première ligne, mais peu dans les programmes de prévention de la santé publique. On va préserver ce qui est visible avant tout », confirme Olivier Jacques.
Il souligne néanmoins que même si les dépenses québécoises en santé publique semblent plus faibles que celles des autres provinces – jusqu’à 6 % en Colombie-Britannique – il y a eu une augmentation depuis les années 1990.
Les pays de l’OCDE dépensent en moyenne 2,3 % de leurs budgets en santé pour la santé publique, tandis que le gouvernement canadien y consacre près de 7%.
Une comparaison des provinces canadiennes, dans une autre étude de ce chercheur non encore publiée (« The Political Economy of Public Health Expenditures : Evidence from the Canadian Provinces »), montre la même tendance au sein des investissements réalisés entre 1975 et 2018 : peu importe le gouvernement, le curatif prime, et de très loin.
Une augmentation des transferts en santé vers les provinces ne garantirait pas une augmentation du côté de la prévention, soutiennent les chercheurs.
Une réalité de terrain à préciser
La revue Social Science & Medicine est une des revues les plus prestigieuses du domaine avec un processus de révision par les pairs vraiment robuste, commente le professeur à l’école de sciences infirmières de l’Université de Victoria, Damien Contandriopoulos.
Pourtant, certains doutes subsistent chez lui sur la validité des données utilisées. « Je connais bien la base de données en question et mon expérience est qu’elle pose souvent problème dans les comparaisons internationales, [comme] l’étiquetage des dépenses « curatives » vs « préventives ». Par exemple, pour le Canada, la forte hausse des dépenses de prévention est, selon moi, attribuable à la vague de régionalisation des années 90 où les unités de santé publique sont sorties des hôpitaux », soutient cet expert.
Le Pr Contandriopoulos émet aussi quelques doutes sur la typologie utilisée par deux références de l’étude (National Health Services vs Social Health Insurance). « Cette typologie est classique, mais la réalité sur le terrain change énormément d’un pays à l’autre. Ces deux problèmes (données et typologie un peu aléatoire) augmentent la probabilité que les résultats soient moins corrélés à la réalité du terrain ».