Alors que les regards de la planète sont tournés vers la guerre en Ukraine, le moment ne pouvait être mieux choisi pour lire la bande dessinée Poutine: L’ascension d’un dictateur, une biographie en images, mais sans concession, du maître du Kremlin.
En seulement 164 pages, le journaliste et illustrateur Darryl Cunningham réussit l’exploit de résumer la longue feuille de route de Vladimir Vladimirovitch Poutine, qui est probablement la personne la plus dangereuse de la planète en ce moment. Couvrant l’ensemble de son parcours, de sa naissance en 1952 à Léningrad en passant par son embauche au KGB, son ascension fulgurante qui le verra devenir directeur du service de sécurité fédérale puis président de la Russie (poste qu’il occupe encore deux décennies plus tard grâce à des magouilles politico-légales), la majorité des faits relatés dans la bande dessinée sont connus par les gens qui suivent l’actualité internationale, mais en les enlignant les uns après les autres, on obtient le portrait d’un véritable tyran n’ayant aucun respect pour la vie humaine, et qui a atteint le dernier stade du règne d’un dictateur, celui la phase de mégalomanie paranoïaque.
C’est sous le règne de Poutine que les oligarques sont apparus en Russie, et la corruption est tellement omniprésente que l’on soupçonne le président russe d’être l’homme le plus riche du monde, avec une fortune évaluée à environ 200 milliards de dollars. Il s’agit presque d’une peccadille en comparaison des autres crimes commis par le maître du Kremlin. En plus de museler la liberté d’expression dans son pays, tous ses opposants, qu’il s’agisse de politiciens, d’hommes d’affaires ou de journalistes, ont la fâcheuse manie de chuter de la fenêtre de leur immeuble, de se retrouver criblés de balles, ou d’ingurgiter des poisons tels le polonium-210 ou le Novitchok. Anatoli Sobtchak, Sergueï Yushenkov, Anna Politkovskaï, Olga Kotovskaïa, Mikhaïl Beketov ou Anastasia Babourova ne sont que quelques-unes des personnes ayant payé de leur vie leurs critiques envers Poutine. Même les exilés ne sont pas à l’abri, comme le prouve l’empoisonnement d’Alexandre Litvinenko à Londres. De son côté, l’opposant Alexeï Navalny a survécu à une tentative d’assassinat en 2020, mais croupit en prison depuis.
Nostalgique de l’ancienne URSS, Poutine a initié de nombreux conflits militaires: Tchétchénie, Géorgie, ou l’annexion de la Crimée en 2014 (un prélude à la guerre actuelle en Ukraine), en plus de voler au secours de Bashar El-Assad et de son régime soupçonné d’utiliser des armes chimiques contre sa propre population. Il mène en même temps une guerre de l’information, et depuis des décennies, l’argent russe déferle sur l’Occident, perturbant des systèmes politiques, corrompant des partis et déstabilisant des nations. L’élection de Boris Johnson aurait été financée par les oligarques russes. De la même façon, les Russes ont contribué à l’élection de Donald Trump. Dans sa tentative pour déstabiliser les démocraties à travers la planète et participer à la montée de l’autoritarisme, le Kremlin injecte pas moins de 1,4 milliard de dollars annuellement dans la propagande, submergeant les réseaux sociaux de tant de désinformation que les gens ne parviennent plus à distinguer le vrai du faux. Penser que les actions de ce despote ne menacent que l’Ukraine et pas le reste de la planète relève donc de l’angélisme.
Les illustrations en noir et blanc de Darryl Cunningham dans Poutine: L’ascension d’un dictateur offrent peu de textures ou de relief, et n’utilisent souvent qu’une seule couleur à la fois. Tandis que ses schémas de sous-marins, ses cartes géographiques, et ses croquis de bâtiments possèdent la précision des dessins d’architectes, ses personnages sont épurés, presque enfantins, du moins en ce qui concerne les quidams, puisque les personnalités publiques (Mikhaïl Gorbatchev, Boris Eltsine, Anna Politkovskaïa, Dimitri Medvedev, Garry Kasparov, Barack Obama, Donald Trump, etc.) sont très ressemblantes, et donnent l’impression d’avoir été tracées directement sur des photos. La bande dessinée permet à Cunningham de glisser une touche d’humour ici et là. Parlant de l’effondrement des infrastructures et des services publics en Russie, il dessine deux hommes attendant à l’arrêt d’autobus. Le premier demande « Quand passe le prochain bus », et le second répond « Jamais ». À propos de la désinformation sur les réseaux sociaux, il dessine Poutine avec le nez allongé de Pinocchio, sur lequel l’oiseau de Twitter est perché.
Aussi instructif, mais moins rébarbatif, qu’une biographie conventionnelle, Poutine: L’ascension d’un dictateur est une lecture essentielle permettant de mieux comprendre la mégalomanie et la cruauté de cet homme, ainsi que la menace qu’il représente pour toutes les démocraties à travers la planète.
Poutine: L’ascension d’un dictateur, de Darryl Cunningham. Publié aux éditions Delcourt, 160 pages.