La célébrité n’est pas censé être un critère en science: ce n’est pas parce que quelqu’un a un long CV qu’il a raison. Mais il n’en demeure pas moins que des biais se glissent: ainsi, un Nobel a six fois plus de chances de voir son étude acceptée pour publication.
Et c’est une étude qui le dit : le chercheur autrichien Stefan Palan, de l’Université de Graz, et ses collègues, ont demandé à plus de 3000 chercheurs de faire la révision d’un article soumis par deux chercheurs, parfois en révélant leurs noms — l’un des deux était le gagnant d’un Nobel d’économie — parfois en laissant l’étude anonyme. Le taux de refus passait de 23 %, lorsque le nom du Nobel était révélé, à 65 %, lorsque seul le nom de l’autre auteur — celui qui n’était pas célèbre du tout— était révélé. Mais plus important, la recommandation d’accepter tout de suite l’article passait de 10 % — quand on ignorait qui étaient les auteurs — à 59 % — lorsqu’on apprenait que le co-signataire était un Nobel.
L’étude n’a pas été rédigée par un Nobel, et elle a été publiée sur la plateforme SSRN (Social Science Research Network), qui ne fait pas de révision par les pairs.
Les auteurs conviennent de la petite taille de leur échantillon, mais ils avaient avant tout pour but d’envoyer un message, qui s’applique aussi bien aux sciences sociales qu’aux sciences : l’importance que pourrait avoir le principe de « révision par les pairs en double aveugle », si on choisissait de l’implanter. C’est-à-dire lorsque les réviseurs ignorent qui sont les auteurs de la recherche et lorsque ces auteurs ignorent qui sont les réviseurs (dans ce dernier cas, c’est le plus souvent le cas).
C’est que ce principe de double aveugle a déjà été suggéré dans d’autres circonstances, où d’autres types de biais apparaissaient: le sexisme, en particulier. Des études ont révélé, sans surprise, que des hommes pouvaient avoir un plus haut taux d’acceptation pour leurs études que des femmes.
Une autre équipe avait d’ailleurs testé l’an dernier la performance du principe de révision en double aveugle, dans le domaine de l’informatique : sa conclusion était que ce double anonymat permettait d’exclure un nombre beaucoup plus élevé d’études de faible qualité (par rapport aux situations où seuls les réviseurs sont anonymes). Mieux, « les notes accordées aux auteurs les plus prestigieux avaient diminué de façon significative après être passé au système de révision en double aveugle ». Rien n’étant parfait, « les désaccords entre réviseurs avaient augmenté de façon significative dans le format double aveugle ».