Des rencontres gravées à jamais sur la partition existentielle. Des concordances humaines en forme de notes pleines. Telle fut l’essence de l’amitié créatrice liant l’artiste Vander à l’âme de Dédé Fortin. Les « Dédé » des Colocs.
Voilà plus d’une décennie que germinait l’idée d’une création scénique sur l’indélébile souvenir de l’aventure Dehors Novembre, ultime album de la formation. En plein bouillonnement, en vue de la première d’une création qui sillonnera le Québec jusqu’à la mi-décembre, l’invitant à incarner le « conteur passeur » d’un legs musical, André Vanderbiest, bassiste du groupe culte de 1996 à 2000, se confie.
À l’ancre du souvenir
Depuis la dissolution de la formation Les Colocs en 2000 – année du départ céleste de Dédé Fortin – ce répertoire ne résonnait plus sur scène pour Vander. « C’était loin… », exprime-t-il, par douceur et pudeur. Puis au fil de son itinéraire artistique, il croise le guitariste légendaire des Wailers, groupe culte de Bob Marley, le temps d’un house band, il lui adresse la question qui tue : « Tu n’en a pas marre de jouer encore ces chansons ? » Ce à quoi lui rétorque le guitariste : « J’ai eu la chance de jouer avec un gars dont la musique joue partout. J’ai un devoir d’héritage. »
Déterminant, l’épisode amène Vander à reconsidérer sa position, à réaliser qu’il avait vécu l’inédit en côtoyant la trajectoire fulgurante de l’auteur-compositeur-interprète Dédé Fortin. Il décide de perpétuer sa mémoire par une série de conférences sur sa destinée. Un succès dans le milieu collégial, chez des jeunes âgés de 15 ans, encore marqués par la trace des Colocs.
À Rimouski comme ailleurs, aborder le thème du suicide engendre un silence évocateur. « Les gamins savent encore qui est Dédé Fortin, il habite encore une part de leur quotidien », réalise Vander.
Plongée dans les mémoires, fragilité des souvenirs encore à vif, l’immersion incite à revisiter la poésie des textes de Dédé. Ces hymnes intitulées Belzébuth, Pis si ô moins, Tassez-vous de d’là, Le Répondeur et Tout seul, parmi les neuf titres de l’album Dehors novembre. Interpellé par une tournée sur l’oeuvre dans le cadre du Festival de poésie de Montréal, Vander garde un goût amer d’incomplétude de cette tentative de redonner vie au verbe de Dédé Fortin par la lecture.
Embryonnaire exercice se soldant par une faible performance dans son esprit, à laquelle manque une dimension viscérale : l’incarnation du texte. Il ne suffit pas de les lire. Déçu et frustré par cette expérience, l’artiste décide de prendre les choses en main. Son idée : avoir un comédien en renfort pour faire vibrer les propos, l’écriture. Interpréter comme il se doit la prose, les sentiments.
Pour ce, Hubert Proulx endosse le rôle, celui d’un comédien qui ne joue jamais Dédé mais s’incarne directement dans les chansons. Il porte le texte autrement, conçoit Vander, sans trop en divulguer.
De la parole naît la musique
Définir le format de la performance scénique, vague docu-théâtre, importe peu. Quoi qu’il en soit, la mouture de Dehors Novembre surpasse la musique. Un souhait certain pour le musicien, déclinant la formule du show de musique, se sentant encore imposteur de l’interprétation du répertoire appartenant au patrimoine québécois. Comme le « Belge de service », illustre-t-il. Minimalistique musicalement, la création sera toutefois rythmée par la virtuosité du multi-instrumentiste Jean-Denis Levasseur et de Jean-Sébastien Nicol, ex-batteur de Loco Locass. Et la basse de Vander qui invitera ses cordes vocales à l’art de raconter. Des anecdotes, la rencontre avec les frères Diouf et d’autres tranches de souvenirs.
À la barre de l’oralité, le conteur explore une nouvelle voie expressive, fruit d’un travail de longue haleine dans les images et photos de l’époque. Une reconnexion avec le monde de Dédé, une bande ayant saisi la démarche de mise en lumière de sa poésie. Depuis des années, Vander s’est engagé à en théâtraliser la forme. Une démarche impliquant pour l’homme une réappropriation de l’histoire, pour raviver les histoires inscrites entre les murs de l’espace de création de Saint-Étienne-de-Bolton, fin 1996.
Il n’en garde que le beau, la poésie, sans questionnements sur la psyché ou les zones d’ombre. D’un détail à un autre, puis à une chanson.
« C’était un moment l’fun, on était dedans. On faisait des arrangements et on ne pensait pas à autre chose… Tout sortait de sa tête ! », raconte Vander. Soucieux de semer en filigrane l’humanité de Dédé, ses actions au quotidien, de redonner sens à la rencontre artistique, l’album entier traverse la mise en scène griffée Marilyn Bastien – Vander. Qu’importe l’âge, la génération, chacun vivra ce docu-théâtre à sa façon, selon les chansons, indicateurs d’une histoire propre, comme celle portée par la décapante Tassez vous de d’là.
Est-ce que l’écriture fut un tel calvaire à cette époque pour Dédé Fortin? L’album Dehors Novembre, œuvre testament? Vander esquivera cette avenue d’inutiles pronostics, évoquant qu’une ébauche de quatrième album était dans l’air du temps.
Une certitude : « Dédé voulait sortir de l’image du party, ça le gonflait d’être le cloclown. » En guise de postlude, Vander croit en l’essentiel de partir de la réalité pour y revenir, par de petites phrases qui font tellement plus de sens. Celles de leur écriture à deux du segment du personnage du colonel sur Belzébuth, par ces paroles salvatrices : Soudain le colonel arrive et tous les autres chats se poussent / Je salue mon ami qui vient à ma rescousse.