Une nouvelle étude révèle l’existence d’un lien entre les grands événements sportifs, dans les pays autocratiques, et la persécution des opposants politiques.
En novembre, l’édition 2022 de la Coupe du monde de soccer aura lieu au Qatar. Permettre à cette monarchie du golfe Persique, qui est connue pour son peu d’attention apportée aux droits de la personne, d’accueillir l’un des plus grands événements sportifs de la planète a été accueilli avec d’importantes critiques. D’autres soutiennent que lorsque des dictatures accueillent de tels événements, cela peut permettre de promouvoir le dialogue et la compréhension des droits de la personne.
Cependant, une nouvelle étude réalisée par Adam Scharpf, professeur adjoint à l’Université de Copenhague, et ses collègues de la Hertie School et de l’Université Carnegie Mellon, vient jeter un éclairage déprimant sur cette affaire. L’étude indique que les événements sportifs internationaux entraînent souvent une vague répressive lorsqu’ils ont lieu dans des pays autocratiques.
Donner le ton durant les matchs
De façon plus spécifique, les régimes dictatoriaux utilisent le prélude des grands événements sportifs pour s’attaquer aux « fauteurs de troubles » potentiels – généralement les dissidents et les opposants politiques. Les chercheurs ont trouvé un exemple typique en Argentine, où une dictature militaire a accueilli la Coupe du monde, en 1978.
Pour cet événement, les spécialistes ont examiné les circonstances de milliers de disparitions et de meurtres mis au jour par la Commission vérité de l’Argentine après la chute de la dictature, en 1983. Les résultats démontrent qu’il y a eu trois phases de répression étatique : avant, pendant et après la Coupe du monde.
« Plusieurs semaines avant le match d’ouverture, le régime a mené une vaste opération dans le cadre de laquelle les autorités ont systématique kidnappé ou tué les trouble-fêtes potentiels, particulièrement durant la nuit et aux petites heures du matin », a indiqué M. Scharpf.
Toujours selon lui, « durant la Coupe du monde elle-même, le régime a frappé discrètement pendant que les matchs avaient lieu et que les journalistes étaient occupés à couvrir ces derniers. Après la finale et le départ des journalistes étrangers, le régime a lancé une nouvelle vague de violences ».
Les Jeux sous les nazis et la boxe dans la jungle
Selon les auteurs des travaux, les régimes autocratiques effectuent sobrement une analyse coûts-bénéfices en tant qu’hôtes d’événements sportifs internationaux. Une fois que les activités sportives sont en cours, les autocrates reçoivent une grande attention en provenance d’un peu partout dans le monde, et s’en servent pour dépeindre des conditions d’ouverture, d’hospitalité et d’unité.
« Mais cette attention peut aussi être dangereuse pour ceux qui sont au pouvoir. Leurs opposants politiques peuvent utiliser les événements sportifs pour manifester leur mécontentement, notamment en vertu de la protection indirecte des journalistes étrangers. Voilà pourquoi les autocrates s’en prennent violemment à leurs opposants avant le début des événements sportifs », souligne encore M. Scharpf.
Ses collègues et lui-même ont trouvé des similitudes avec les Jeux olympiques de 1936 tenus à Berlin, sous le régime nazi, ainsi que lors du célèbre match de boxe entre Mohammed Ali et George Foreman au Zaïre, alors sous le contrôle du dictateur Mobutu Sese Seko, tout comme lors des Olympiques de 2008 à Pékin.
« Nous avons découvert une tendance claire et très inquiétante – notamment parce que la proportion d’hôtes autocratiques d’événements sportifs majeurs a plus que quadruplé depuis la fin de la Guerre froide », a indiqué M. Scharpf.
Celui-ci conclut que l’octroi de ces événements à des dictatures ne fait qu’exacerber les abus des droits de la personne.
« Mais il faudra une vaste alliance sociale pour faire pression sur les politiciens et les fédérations sportives internationales pour empêcher cette situation, à l’avenir », croit-il.
Les travaux sont publiés dans American Political Science Review.