En Ukraine, la guerre qui fait rage autour de la centrale nucléaire de Zaporijjia — la plus puissante centrale nucléaire d’Europe — a fait craindre le pire ces derniers mois. C’est toutefois oublier que ce n’est pas la première fois qu’un pays joue ainsi avec le feu.
C’est en Iraq qu’a eu lieu en septembre 1980 la première attaque de l’histoire contre une centrale nucléaire: deux avions iraniens avaient ciblé la centrale d’Osirak.
Depuis, Israël, la Syrie et l’Iran ont essuyé des attaques semblables, chaque fois dans le but de mettre fin à un programme, réel ou supposé, de fabrication d’une bombe atomique.
La différence, c’est qu’avant Zaporijjia, il s’agissait chaque fois d’attaques uniques, pour endommager le site ou mettre à mal une infrastructure de recherche. Alors qu’en Ukraine depuis six mois, il s’agit d’un siège par une puissance occupante, qui peut s’en servir comme moyen de pression. Dans un rapport publié le mois dernier, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) décrit la situation comme « sans précédent ».
Ça rend la situation, en un sens, encore plus alarmante, selon l’auteur américain Bennett Ramberg, parce que plus ça dure longtemps, et plus le risque d’un dérapage reste omniprésent. Mais que ça dure longtemps ou pas, poursuit-il, chacun des autres événements devrait servir d’avertissement sur la vulnérabilité des réacteurs nucléaires en temps de guerre. C’était le sujet du livre de Rambert en 1984, intitulé Nuclear power plants as weapons for the enemy. Et chacun de ces événements, écrivait-il, a été une occasion manquée de créer une entente internationale qui interdirait des attaques sur de tels sites.
Il n’existe en effet aucun traité international qui concerne spécifiquement la protection en temps de guerre des centrales nucléaires, s’inquiétait dès mars dernier le Bulletin of the Atomic Scientists.
« L’histoire souligne l’urgence » d’un tel traité, soutient cette semaine au New York Times l’auteur Bennett Ramberg. « L’échelle de la présente menace en appelle à un effort renouvelé de la communauté internationale. » Un appel qui a également été réitéré ces dernières semaines par le directeur de l’AIEA, dont une délégation avait pu se rendre à Zaporijjia cet été, et dont quatre représentants y sont retournés la semaine dernière.
On parle « d’effort renouvelé », parce que le premier appel de ce genre remonte à 1985: devant les attaques au Moyen-Orient, la rencontre annuelle de l’AIEA en avait appelé à un tel traité international. Les États-Unis s’y étaient opposés: et en 1991, au début de la première Guerre du Golfe, ils allaient à leur tour franchir ce pas, en détruisant deux réacteurs nucléaires irakiens décrits comme « opérationnels ».
Les inquiétudes allaient monter d’un cran après les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis, quand on apprendrait que la destruction d’un réacteur nucléaire avait fait partie des scénarios envisagés par les terroristes. « Si vous frappez près d’une zone habitée, vous parlez d’évacuations de masse et vous rendez le territoire invivable pendant 20 à 30 ans », déclare un ancien expert des politiques nucléaires au sein du ministère américain de la Défense, et qui a lui aussi écrit sur les menaces qui pèsent sur ces réacteurs.
Tout dépend évidemment où on frappe. Les accidents nucléaires de Three Mile Island, aux États-Unis en 1979, et de Fukushima, au Japon en 2011, ont montré qu’au contraire de ce qui s’était passé à Tchernobyl en 1986, un accident peut être contenu. Les radiations émises à Fukushima étaient 10 fois moindres qu’à Tchernobyl, parce que de meilleurs mécanismes de protection étaient en place. Et on ne compte aucun décès causé par les radiations à Fukushima, parce que le gouvernement japonais a réagi plus efficacement que le gouvernement soviétique de l’époque.
Un ajout à la Convention de Genève de 1949 sur le traitement des victimes en temps de guerre (le « Protocole II », adopté en 1977) contient une brève mention des installations associées à des « forces dangereuses », comme les barrages et les centrales nucléaires : elles ne devraient « pas faire l’objet d’attaques, même lorsqu’elles sont des objectifs militaires, si de telles attaques peuvent causer la libération de forces dangereuses et, conséquemment, des pertes sévères au sein de la population civile ». Les États-Unis ne l’ont pas ratifié et la Russie, qui l’a ratifié, pourrait alléguer que ses actions n’ont pas, pour l’instant, « libéré » de « forces dangereuses ».