En devenant cette semaine seulement la 8e femme de l’histoire à gagner un Nobel de chimie, l’Américaine Carolyn Bertozzi a remis sur le tapis un problème récurrent. En plus du fait que sur les sept scientifiques « nobélisés » cette année, elle a été la seule femme.
Et encore, avec 8 femmes en 122 ans d’histoire du Prix Nobel, la chimie s’en sort même moins mal que la physique. Cette dernière n’a que quatre femmes dans sa liste: Marie Curie (1903), Marie Goeppert Mayer (1963), la Canadienne Donna Strickland (2018) et l’Américaine Andrea Ghez (2020). Sur un total de 222 gagnants (un Nobel de science ne peut être remis qu’à un maximum de trois personnes). Si on additionne les trois Nobel de science (médecine, physique, chimie), la proportion des gagnantes depuis 1901 est d’à peine 3%.
On peut tout au plus sentir une progression si on n’analyse que les Nobel de médecine : une seule gagnante avant 1975, puis 5 entre 1975 et 2000, puis 6 depuis 2001…. mais la dernière remonte à 2015.
La chimiste Carolyn R. Bertozzi, de l’Université Stanford, est co-lauréate cette année pour l’invention de la « chimie bioorthogonale », un ensemble de réactions chimiques pouvant être initiées dans un organisme vivant. Elle faisait partie de la courte liste des scientifiques qui, pour ceux qui font des paris, étaient « à risque » de gagner.
Ironiquement, elle est aussi connue dans son milieu pour son militantisme en faveur de la place des femmes en science. Elle est en particulier « un modèle pour les femmes en chimie », notait mercredi dans la revue Nature la biochimiste Pamela Chang, qui a obtenu son doctorat dans le laboratoire de Bertozzi en 2010. Et qui note que ce laboratoire employait alors 50% de femmes, « une proportion inhabituellement élevée pour les départements de chimie à ce moment ».
« Je suis contente de faire grimper ce chiffre un peu », a déclaré Bertozzi mercredi en référence au fait que seulement 7 femmes l’avaient précédée sur ce podium. J’en comprends la gravité, moi qui ai été toute ma vie une personne sous-représentée en sciences. »
En réponse aux critiques récurrentes, le comité Nobel avait annoncé en 2018 une initiative qui, pour cette institution traditionnellement opaque, était inédite: que chaque personne invitée à soumettre des candidatures prenne désormais en considération la place des femmes et la « diversité géographique ». On ignore si cet appel a eu un impact: les règles de l’Académie royale de Suède exigent la confidentialité des mises en nomination et des délibérations pendant une période de 50 ans.