Les cinéphiles n’accueilleront certainement pas Viking dans l’indifférence et avec raison, puisqu’il s’agit du grand retour de l’immensément talentueux cinéaste Stéphane Lafleur, près d’une décennie depuis le sublime Tu dors Nicole.
Attirant l’attention depuis son inoubliable Continental – un film sans fusil, Stéphane Lafleur isole depuis ses débuts ses fascinants personnages, ayant toujours en commun une déroute, un sentiment commun pour l’incertitude des lendemains, cette absence de contrôle sur le destin, mais aussi de ces êtres perdus dont le parcours est fait pour s’entrecroiser, quelles qu’en soit les conséquences.
Celui qui a toujours eu un intérêt pour les gestes, tout comme d’un certain sentiment d’immobilité pour aller de pair avec cette impression de tourner en rond, met pour la première fois l’accent sur l’avenir, littéralement, situant son nouveau long-métrage ancré dans un futur proche. Malgré la présence de presque tous ses collaborateurs d’origine, principalement des femmes, de Sara Mishara aux images à Sophie Leblond au montage, voilà un film qui marque aussi beaucoup d’autres premières.
D’abord, il y a cette brisure avec son cycle saisonnier, un intérêt véritable pour l’ailleurs, multipliant les lieux qui n’ont pas peur de s’éloigner du Québec, l’absence de sa muse Fanny Mallette, mais aussi sa première collaboration scénaristique avec nul autre que le grand manitou Éric K. Boulianne, qui donne certainement naissance au film le plus mouvementé de la carrière de Lafleur.
Effectivement, de celui qu’on a d’abord comparé à Roy Andersson et à beaucoup de cinéastes d’ailleurs, arrive à livrer un film d’ici malgré ses vastes ambitions, avec une histoire aussi inusitée, concise que précise qui ne lésine pas sur les rebondissements. Certes, peu nombreuses seront les réponses, à défaut d’une multitude de revirements auxquels le réalisateur ne nous avait pas nécessairement habitués, mais on continuera avec plaisir d’y trouver cet humour entre l’absurde et le burlesque dont se délecteront les spectateurs habitués et les novices, tout comme de la quasi-totalité des dialogues qui fondent sans mal en bouche.
La prémisse est également loin d’être banale, alors qu’un homme sans histoire se ramasse à son grand plaisir à être l’un des rares choisis (et qualifiés) pour une mission ultra secrète ayant lieu en simultané avec le premier voyage vers Mars. Entouré de personnages colorés, il doit recopier avec exactitude la mission spatiale pour en faire comprendre et résoudre les problèmes (surtout intra et interpersonnels), idéalement avant qu’ils ne se produisent.
Le dédoublement des scénaristes devient alors transposé chez ses personnages pris dans cette dualité pratiquement impossible à supprimer ou dissocier alors que deux têtes, a priori aux personnalités similaires, essaient de vivre les mêmes événements, tout comme de s’affranchir, d’avoir une raison d’être. Le microcosme est également pris dans un environnement encore plus limité que jamais dans l’univers du cinéaste, ce qui permet d’y tailler les traits avec encore plus de précision qu’auparavant.
Loin du concept de la simulation qu’on attribue habituellement aux technologies ou aux jeux vidéos, surtout au cinéma, Viking sait toujours rester bien terre à terre (ironiquement face aux circonstances) et constamment près de ses humains qu’il tient visiblement en grande estime et affection. Il faut dire qu’une distribution de ce calibre aide décidément à craquer pour ces personnages surtout divergents entre l’interprète et ce qu’il ou elle doit interpréter, quoiqu’on réalisera vite que le « genre » sera ici tout sauf important. Lafleur a d’ailleurs, comme on peut l’imaginer, réservé un des meilleurs rôles pour Denis Houle afin d’en marquer ses retrouvailles avec celui qui a décidément marqué les esprits dans ses deux premiers films. Sauf que la compétition est féroce pour rassasier les spectateurs, quand on a pour l’entourer Marie Brassard dans un tandem délicieux avec Martin-David Peters, l’irrésistible Fabiola N. Aladin, la caractérielle Larissa Corriveau, l’impressionnant Hamza Haq et ses mouvements de danse flamboyants et comble de tout, le toujours trop peu présent Steve Laplante, aussi nuancé et impressionnant comme il nous y a toujours habitués. Évidemment que dans un rôle plus petit, la présence de Marie-Laurence Moreau fait aussi grandement plaisir.
Le mieux est toutefois d’y aller à l’aveuglette. De ne pas en savoir trop sur le délire qu’on s’apprête à vivre. De celui qui n’a jamais eu peur de laisser les choses en suspens, d’être loin d’un amateur en finalité, on admettra néanmoins que le long-métrage laissera un peu sur sa faim et on sentira qu’autant de richesse dans le sujet aurait mérité davantage de développement. À l’ère incontestable des téléséries en format court ou long et aux qualités souvent égales ou supérieures avec le septième art, on ne cachera pas que la prémisse pourrait certainement bien s’y exporter.
Viking ne manque toutefois pas d’originalité et de poésie, tout comme de moments qui marqueront pour toutes sortes de raisons. Un film qui ose, coûte que coûte, et qui y gagne certainement très régulièrement au change. Si la démonstration de talent y est encore plus que flamboyante, on admettra aussi que l’assurance n’a peut-être toutefois pas le même panache que dans ses œuvres antérieures. Les sentiments y sont pourtant plus crus, l’amertume plus crève-cœur et l’émotion plus délicate que jamais, mais il y a pourtant toujours quelque chose comme de l’attente de ce petit je-ne-sais-quoi qui allumerait complètement l’étincelle de cette connexion inédite qui ferait entièrement cohabiter cette dualité, cette vie, ici partagée, et dont le film ne se défait jamais entièrement.
7/10
Viking prend l’affiche en salle ce vendredi 30 septembre.