Que demande le peuple! C’est un réel « coup de circuit » scénique pour l’écrivain Alain Farah : quatre représentations, entre lundi et jeudi à l’Usine C, de son Chant 3 au Festival international de littérature. Auréolé depuis la parution à l’automne dernier de son colossal roman Mille secrets mille dangers (Le Quartanier), l’homme aussi connu pour sa didactique littéraire à l’Université McGill et ses chroniques radiophoniques depuis 2011, décline les composantes de ces intrigantes insomnies et aborde son rapport à la société québécoise.
Chant choral d’une psyché
Sans son acolyte Marc Beaupré à la mise en scène, il est fort à parier que le troisième des douze chapitres de Mille secrets mille dangers n’aurait emprunté la même traverse, de la page à la planche. Car bien qu’Alain Farah ait co-adapté en 2017 avec Patrice Dubois l’oeuvre fétiche de Denys Arcand au théâtre – Le Déclin de l’empire américain – l’exercice s’avérait d’une toute autre complexité. Puisant dans la pure tradition des poètes de la Grèce antique, à extraire un segment écrit pour mieux en restituer la part de divertissement public, ils franchissent une première étape par le retranchement du roman de 500 pages. Un appel à une construction singulière. « Marc et moi avons beaucoup en commun dans l’art de créer un effet de distanciation par une vision antique du théâtre. L’épisode du long monologue intérieur corsait les choses, et nous voulions une belle distribution de comédiens… », souligne l’écrivain sur les prémisses du chantier, renouvelant son admiration pour la touche généreuse de Marc Beaupré.
Habités par ce désir commun de voir se multiplier des « voix de la conscience à moitié endormie », Alain et Marc perçoivent dans le chant choral une résonance sur mesure. Pour amplifier l’élément de tension de cette identité psychique qui tangue à la veille d’un mariage. Ce rituel universel de l’âge adulte, transposé par la magie du théâtre. Sur les raisons d’avoir isolé ce chant trois du corpus de douze chapitres du roman autobiographique de Farah, l’auteur a d’abord désiré l’ancrer dans une pratique de la lecture publique. Une habitude auquel il a pris goût dans les années 2000, lors de soirées de poésie. « Plus j’avançais, plus j’aimais gueuler mes textes et les incarner par la performance. Ensuite, je me concentrais sur mon métier de romancier.
Identitairement vôtre!
Le Québec constitue le berceau existentiel d’Alain Farah. Ses parents, arrivés du Liban et d’Égypte, posèrent le pied ici. Pour mieux saisir sa trajectoire et son actualité, il revient sur l’exil au 19e siècle de sa communauté chrétienne, isolée en cet espace géographique musulman. Victimes d’exactions, les chrétiens de la province ottomane – de Syrie, du Liban, de Palestine et de Jordanie – tentent de s’installer en Égypte. En vain. Dans cette histoire, la notion identitaire rime avec reconstruction. Né d’une famille de jeunes immigrants débarquant à Montréal-Nord, le petit Alain évolue dans un milieu cosmopolite où la notion de Québébois de souche ne s’impose point. Sauf à l’adolescence, se rappelle-t-il, sans détour. « On formait un petit groupe à part, avec le réflexe de vouloir de fondre. Nos cheveux crépus coupés, notre accent modifié, notre peau invisibilisée. Une certaine obéissance à la majorité. »
Aujourd’hui âgé de 43 ans, après 20 ans au Québec, l’écrivain ne se heurte plus à l’obstacle d’intégration, transforme ses réalisations en succès notables. Il se questionne toutefois, encore. « Ai-je réussi parce que je suis assimilé? » Une part d’ambiguïté dont il discourt librement, publiquement. Point de salut pour résoudre les questions identitaires au Québec en usant de la diversité pour définir une personne. La cloisonner, en somme.
« Qui est écrivain québécois? Qui ne l’est pas… Il ne faut pas être dupe et se laisser diviser par les politiques et le racisme systémique mondial. Moi, j’ai envie du collectif! », clame Alain Farah.